Philippe Léogé interprète Déodat de Séverac : Hommage à l’Occitanie
- Vendredi 25 juin | 12h30 | Bibliothèque d’étude et du patrimoine (Toulouse)
Programme
Philippe Léogé interprète Déodat de Séverac : Hommage à l’Occitanie
Pianiste occitan aux multiples tournées internationales, Philippe Léogé est reconnu pour son ouverture musicale et ses projets hétérogènes. Pour le concert en Juin 2021 à la bibliothèque d’Étude et du Patrimoine de Toulouse, il propose de remettre au goût du jour le répertoire de Déodat de Séverac, disparu il y a tout juste 100 ans.
Musiciens :
Philippe Léogé (piano)
Denis Léogé (contrebasse)
Jordi Léogé (batterie)
Interview
Je n’avais plus qu’une idée en tête, consacrer ma vie à la musique
Votre site donne des informations sur votre parcours à partir du moment où vous avez été à la Berklee School of Music, mais comment avez-vous commencé ?
J’ai découvert autour de mes 5 ans un vieux piano édenté et désaccordé au fond du garage paternel, au milieu des carcasses de voitures et j’ai été tout de suite attiré par cette espèce de grande boîte à musique. D’après ma mère, chaque fois que je rentrais de l’école je m’y précipitais, au grand désespoir de mon père d’ailleurs qui voyait plutôt en moi un futur garagiste qu’un futur pianiste. J’ai eu la chance de rencontrer à cette époque un vieux monsieur qui avait pour habitude de me raccompagner quotidiennement sur la centaine de mètres qui séparaient les classes primaires du foyer familial. Il avait atterri dans mon village d’Eauze dans le Gers par un concours de circonstances qui demeure encore aujourd’hui improbable. Il s’avère que cet homme avait été par le passé chef d’une musique militaire, diplômé du Conservatoire de Paris en écriture et flûtiste concertiste. Solitaire, inconnu de tous car venant d’une autre région, il découvrit en moi cette attirance pour le piano et commença à me parler de la beauté et de la puissance d’une mélodie, de Bach, Mozart, Chopin, de l’harmonie, et progressivement le rêve de devenir musicien prit forme. Mes parents firent l’acquisition d’un bon piano et nous passions beaucoup de temps à découvrir des mélodies que j’apprenais par cœur, il m’apportait ensuite la partition et c’est comme ça que j’ai appris le solfège. Il m’enseigna aussi la clarinette car un musicien doit pouvoir jouer et pratiquer un instrument mélodique, un instrument harmonique et s’exercer aux rythmes disait-il.
À sa mort, j’avais 11 ans, je n’avais plus qu’une idée en tête : consacrer ma vie à la musique.
De cette période jusqu’au moment de rentrer à la Berklee School 12 ans plus tard j’ai continué en autodidacte, découvrant le Jazz new-Orleans à la clarinette et le métier de musicien dès l’âge de 16 ans en jouant les claviers dans des orchestres de variétés. Je n’avais aucune notion de ce qu’était une grille d’accords chiffrés, je ne lisais que la clé de sol et de fa ou bien je jouais d’oreille et j’ai tout appris sur le terrain, en situation tout en gagnant ma vie…
Qu’est-ce qui vous a poussé à rester en France, et ne pas retourner aux États-Unis ?
Plusieurs raisons : tout d’abord c’est l’obtention de bourses auprès du tout nouveau Ministère de la Culture de Jack Lang en 1981 qui me permit d’accéder à ces études dans cette école prestigieuse, la contrepartie étant de rester au moins 10 ans en France dès mon retour afin de « faire profiter » mon Pays du fruit de l’enseignement reçu, et aussi et surtout un désir profondément atavique de vivre dans mon Sud-Ouest natal et de me prouver que des projets musicaux pouvaient naître et exister en dehors de Paris ou New-York.
Je me suis donc lancé en 1986 dans la création d’un Big-Band, d’un festival de Jazz et plusieurs autres projets pour réaliser mes rêves.
Comment vivez-vous la situation actuelle en tant que musicien, compositeur, arrangeur, en tant qu’artiste ?
Tout dépend de quelle fenêtre j’observe la situation… Si on parle de la situation face à la crise sanitaire que nous traversons et du fait que les artistes soient assimilés à de l’activité non-essentielle je ne suis pas très étonné. J’ai côtoyé bon nombre de décideurs politico-culturels dans ma vie et j’ai malheureusement souvent constaté que, sortis des occasions de paraître, d’exercer un petit pouvoir qui compense souvent une frustration artistique ou bien d’avoir une quelconque appartenance à un entre-soi lobbyiste, il ne faudrait pas compter sur eux pour valoriser intrinsèquement l’essentialité des artistes dans notre Société. Si on parle de la situation de l’artiste-musicien face à lui-même, face à son urgence d’être, de créer, d’improviser, de jouer, d’écrire, je dirais que la conjoncture importe peu, il est et restera le même passionné face à son idéal. Pour le reste, il y a la « musique à vivre » et la « musique à vendre » et chacun se débrouille et s’adapte en son âme et conscience.
Vous avez participé à la création de différents projets où le mot d’ordre semble être la ré-appropriation de répertoire traditionnel/populaire. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette démarche-là ?
Antoine Lavoisier a dit un jour : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Je pense que cette évidence physique est universelle et peut s’appliquer aussi bien à la Matière qu’à la Musique. Ce qui m’intéresse dans le lien entre la musique Baroque et le Jazz c’est cet état d’esprit de spontanéité, d’improvisation, de liberté de s’approprier à chaque fois pour un court instant une mélodie, un canevas harmonique, une séquence rythmique appartenant à la mémoire collective pour en proposer une version éphémère et inspirée qui traduit l’impermanence de la vie. C’est pour cela que j’ai été d’emblée plus attiré par l’arrangement et la relecture de pièces parfois oubliées que par la composition, même si celle-ci est nécessaire et s’impose à moi de temps en temps. Il y a une espèce de snobisme à dire qu’un tel joue ses propres compositions alors que tel autre ne fait que des reprises, soit. Personnellement ce n’est pas à ce niveau que je détecte une originalité créative.
Comment avez-vous découvert la musique de Déodat de Séverac ? D’où vous vient l’intérêt que vous portez à son œuvre ?
La première personne à m’avoir parlé de Déodat de Séverac comme d’un compositeur génial bien que méconnu et de plus originaire du Lauragais, c’est la chanteuse Juliette au tout début des années 80. Par la suite Jean-Marc Padovani m’a fait découvrir le livre de Vladimir Jankélévitch « Présence lointaine » où il est question de Déodat mais aussi de Federico Mompou et d’Isaac Albéniz et d’ailleurs nous avons enregistré en duo quelques extraits des « Musica callada » et les « Chants de la Terre ». J’ai tout de suite aimé cet univers sonore, je suis un adepte de l’Impressionnisme et comme disait Debussy en parlant de Déodat :
« Sa musique sent bon ! ».
Pourquoi avoir choisi la musique de Déodat de Séverac et pas celle d’un autre compositeur comme Debussy ou Ravel ?
Cette année, 2021, est le centenaire de la mort de Déodat de Séverac, 1921, et Jean-Jacques Cubaynes, outre le fait d’être un chanteur lyrique internationalement reconnu, est le directeur artistique du « Festival Déodat de Séverac ». Il m’a proposé en tant que tel de jouer avec mon trio pour la journée inaugurale en improvisant autour de quelques pièces du compositeur. C’est donc avant tout une commande bien précise.
Vous êtes-vous intéressé aux autres caractéristiques du personnage de Déodat de Séverac, et est-ce que cela à eu un impact sur votre travail?
Je ne sais pas à quelles caractéristiques vous faites allusion mais, au-delà de sa musique, je me reconnais dans ses choix d’avoir préféré revenir vivre au Pays après ses années parisiennes d’étudiant. D’ailleurs il dénonçait déjà à l’époque l’emprise qu’exerçait la capitale sur les artistes de province qui étaient obligés de s’y installer pour espérer faire carrière car la notion de décentralisation était déjà un leurre. Un siècle après les choses n’ont pas vraiment changé…Il prétendait que l’inspiration était plus authentique en étant proche de ses racines, idée que je partage totalement. C’est pour cela que le concept de présence lointaine illustré par le son des cloches dans nos campagnes d’antan l’a toujours habité et inspiré.
En 2012, vous enregistrez Le chant de la terre en duo avec Jean-Marc Padovani. Pourquoi privilégier la formation en duo pour ces relectures ?
Nous n’avons pas privilégié la formation en duo, il se trouve tout simplement que nous jouions beaucoup en duo avec Jean-Marc à cette époque et comme je vous le disais nous avons redécouvert cette musique ensemble et donc décidé d’en faire un projet. Nous aurions pu être en trio, en quintet ou en Big-Band ce n’est pas ça le moteur de l’idée.
Quelle formation avez-vous prévu pour le concert du mois de juin 2021 ?
Depuis quelques temps j’ai reconstitué un trio, formule que j’avais abandonnée il y a longtemps car je ne trouvais pas vraiment les partenaires sur mesure. J’ai la chance que mes 2 fils Denis et Jordi qui jouent respectivement de la contrebasse et de la batterie, aient décidé de devenir musiciens professionnels, aiment et sonnent Jazz et adorent jouer en trio avec leur père. De plus ils sont parfaitement autodidactes et donc pas du tout influencés par des discours d’enseignants qui, bien souvent malheureusement, ne connaissent pas ou trop peu la réalité de terrain de notre métier.
Tous les deux sont dans le respect de la tradition, aiment le swing, tout en ayant une vision actuelle et jeune. L’idéal !
Vous êtes-vous déjà arrêté sur les choix des morceaux pour le concert ?
Je vais puiser dans les « Cahiers de Vacances », c’est d’actualité.
Quel type de relecture envisagez-vous pour le concert de l’exposition ? Quelle a été votre méthodologie pour les relectures des morceaux de Déodat de Séverac ?
L’idée est d’alterner entre des passages écrits, en solo ou trio, en respectant le texte, et des passages qui se prêtent à l’improvisation. Dans une œuvre musicale classique il y a toujours des mélodies exposées qui sont l’âme de la pièce, et des passages plus écrits, axés sur des développements harmoniques d’où aucune mélodie n’émerge vraiment et dont on ne se souvient pas forcément, ce sont ces passages que je choisis en général pour improviser et revisiter.
Comment envisagez-vous le rapport entre le musicien et le public lors d’un concert ? Allez-vous leur expliquer votre démarche ?
Pour moi le rapport est simple et il est le même depuis la nuit des temps. Pendant le morceau les artistes s’expriment et le public écoute et à la fin du morceau les rôles s’inversent.
Je n’explique jamais ma démarche artistique, parfois je présente un morceau ou je cite une petite anecdote mais je ne suis pas fan de devoir justifier les notes qui vont suivre, c’est difficile de mettre des mots sur la musique. Pour moi elle se suffit à elle-même pour ouvrir et pénétrer l’imaginaire… Nougaro chantait : «…parce qu’au fond les phrases ça fait tord à l’extase. »
Notes de programme
Léogé et Séverac
Ce n’est pas la première fois que Philippe Léogé s’intéresse au répertoire du troisième impressionniste, comme aimait le surnommer Claude Debussy. En 2012, Léogé a enregistré l’album Le chant de la terre, en duo avec Jean-Marc Padovani où ils s’inspirent de pièces de Déodat de Séverac ainsi que de Federico Mompou. Attachés au respect et à la fidélité des textes, Jean-Marc Padovani et Philippe Léogé ont su trouver un équilibre entre musique classique, jazz et populaire.
Passion Occitanie
La musique n’est pas le seul point commun entre Philippe Léogé et Déodat de Séverac. Tous les deux ont nourri ou nourrissent un amour pour l’Occitanie, la région où ils ont grandi. Philippe Léogé, pourtant promis à une carrière internationale, nous dit avoir fait le choix de la localité plutôt que la célébrité. Il se sent profondément attaché à cette région, ses coutumes, ses paysages et sa culture.
« Je ne crois pas aux frontières mais au patrimoine, au charme, et aux richesses des régions » (P. Léogé)
Nouvelle formule
Cette passion pour la musique, Philippe Léogé la partage aussi avec ses fils, Denis et Jordi. Sur scène depuis bientôt 2 ans, le trio est bien connu dans la région pour son hommage à l’un des (grands) enfants du pays : Claude Nougaro. Pour le concert du 25 juin 2021, les trois musiciens vont s’attaquer avec enthousiasme au répertoire de Déodat de Séverac. Philippe Léogé, qui dans une interview dit fonctionner par flash lorsqu’il sélectionne et réarrange un nouveau répertoire, aura à cœur de redonner vie à la musique de Déodat de Séverac à travers une sélection d’œuvres issues du Chant de la terre et En vacances.
Une note de programme et une interview proposées par Lucas Ghelfi & Sébastian Fort