Autres regards

François-Michel Rignol, pianiste

CONCERT – PODCAST & NOTES DE PROGRAMME

L’intégrale de l’œuvre pour piano de Déodat de Séverac

Podcast et interview

Le samedi 12 décembre 2020, Francois-Michel Rignol nous a reçu chez lui, pour un entretien autour de la figure de Déodat de Séverac. Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure de Musique de Paris, il enseigne actuellement au Conservatoire National de Région à Perpignan. Il a consacré deux albums à ce compositeur et interprètera l’intégrale des œuvres pour piano seul à Toulouse pour le centenaire de la disparition de Déodat de Séverac dans le cadre de l’exposition Midi-Rhapsodie, proposée par la Bibliothèque de Toulouse.
Ce récit intime que nous livre Francois-Michel Rignol, révèle la personnalité du compositeur et propose aux auditeurs d’aller à la rencontre de cet artiste encore méconnu du grand public. Entre émouvantes anecdotes et interludes musicaux, l’interprète présentera son parcours musical, proposera de définir l’esthétique si particulière de ce compositeur et dressera un tableau de ses œuvres principales.

Une interview proposée par Julie Salvan & Elsa Martinez

En Vacances :

  • Invocation à Schumann
  • Ronde dans le parc
  • Où l’on entend une vieille boîte à musique
  • Valse romantique

Le chant de la terre

  • Prologue 
  • Le Labour
  • Les Semailles
  • Conte à la veillée
  • La Grêle
  • Les Moissons
  • Epilogue, le jour des noces

Cerdaña :

  • En Tartane, l’arrivée en Cerdagne
  • Les Fêtes, souvenir de Puigcerdá
  • Ménétriers et Glaneuses, souvenir d’un pèlerinage à Font Romeu
  • Les muletiers devant le Christ de Llivia
  • Le retour de muletiers

En Vacances :

  • Les caresses de Grand Maman
  • Les petites voisines en visite
  • Toto déguisé en suisse d’église
  • Mimi se déguise en Marquise

Baigneuses au soleil (souvenir de Banyuls sur mer)

Sous les Lauriers roses, soir de carnaval sur la cote catalane :

  • La banda municipal
  • Petite valse des carabiniers
  • La Naïade de Banyuls
  • Sardane
  • Pour Charles Bordes
  • Pour Emmanuel Chabrier
  • Barcarole, un pêcheur fait entendre au loin une réminiscence de la sardane
  • La banda municipal
  • L’ombre charmante du vieux Daquin
  • Les coucous, petite fuguette folichonne
  • Un piano mécanique fait entendre un dernier écho de l’air sentimental
  • Coda

En Languedoc :

  • Vers le Mas en fête (Par le chemin du torrent, Halte à la fontaine, le Mas en fête)
  • Sur l’étang, le soir
  • A cheval dans la prairie (Départ, Halte à la fontaine, Retour)
  • Coin de cimetière, au printemps
  • Le jour de la Foire au Mas

Notes de programme

Parcourir l’œuvre intégrale de Déodat de Séverac, c’est découvrir une personnalité attachante ainsi qu’un créateur inventif, à l’imagination toujours en recherche et à l’oreille curieuse et délicate.

De nombreuses lignes de force se dégagent : par-dessus tout, un amour de l’humain (les enfants, les paysans, les vieillards, les jeunes filles …), de la nature et de la création, qu’il traduit avec poésie, sensibilité et dont la pureté et la force de l’émotion se doublent d’un sentiment absolument sacré. Il y a aussi, techniquement, son goût pour les modes altérés, l’accord avec sixte ajoutée, le mode pentatonique qui nourrit accords et intervalles, une prédilection pour la quarte, certains agrégats inouïs qui cohabitent avec des degrés harmoniques romantiques, ce qui donne à sa musique ce subtil équilibre entre sentiment humain et évocation impressionniste. Il y a enfin une écriture pianistique virtuose, inventive, qui utilise toute la magie des plans et des résonances dans la pédale.

Mais, au sein de cette unité d’ensemble, on s’aperçoit avec admiration que Déodat a su, tel un peintre, varier sa palette en fonction du lieu (nature de l’air, des couleurs, des profondeurs…) et du sujet qu’il évoque.

Le sobre poème géorgique Le Chant de la Terre ouvre sa production en 1900 ; il est aussi austère qu’émouvant ; son écriture pianistique est intense et ramassée ; on peut voir ce cycle comme la transposition musicale de l’émotion sacrée qui irradie les peintures de Jean- Baptiste Millet (L’Angélus par exemple).

Les deux grands cycles En Languedoc (1904) et Cerdaña (1908-1911), formés de cinq pièces chacun, suivent la même structure architecturale, comme deux pendants d’un même retable musical. Ils chantent, pour le premier, la région natale du compositeur, pour le second sa région adoptive, la Catalogne française (du moins sa partie montagneuse … il semblerait d’ailleurs que Déodat avait plus ou moins composé un  « cycle pour le Roussillon » ; certains amis ont témoigné l’avoir entendu leur jouer !). Le peintre musicien a su sentir et traduire la subtile différence de lumière entre l’atmosphère plutôt continentale du Languedoc toulousain et la clarté méditerranéenne de l’air cerdan : ainsi la palette très impressionniste d’En Languedoc est-elle plus mystérieuse, plus fondue, souvent voilée, parfois même inquiétante, quand celle de Cerdaña est plus éclatante et tranchée. Ces deux cycles, qui mêlent l’évocation de la nature, des bêtes, des « gens simples », des fêtes dans un sentiment proprement sacré même dans les moments les plus joyeux, culminent dans la puissance expressive de chacune des deux avant-dernières pièces, deux longues prières litaniques Coin de Cimetière au printemps et les Muletiers devant le Christ de Llivia.

Le petit cycle féminin aux titres clairement impressionnistes, Les Naïades et le Faune indiscret et Baigneuses au soleil (1908) s’empare des couleurs voluptueuses de Debussy et assume une grande virtuosité. L’équivalent pictural serait la palette d’un Monet, voire celle des Grandes Baigneuses de Cézanne.

L’infinie tendresse du premier cycle d’En Vacances (1911), destiné aux tout jeunes pianistes, semble évoquer ces enfants peints par Renoir dans un style chatoyant et raffiné. Si l’écriture en est moins novatrice que dans d’autres œuvres, seul un maître au cœur pur pouvait avoir sur l’enfance ce regard poétique.

Le deuxième cahier d’En Vacances(1920) montre un talent pour les hommages aux anciens maîtres (Chopin, Rameau, Bach) dans des sortes de pastiches à la fois tendres et amusés, à l’usage d’enfants déjà grands car les pièces sont assez difficiles ; deux pièces isolées complètent ce recueil inachevé, les Stances à Madame de Pompadour, délicieusement archaïsantes, et Pippermint Get, valse brillante pleine d’humour.

Sous les lauriers roses (1919) célèbre la côte catalane ; c’est une longue pièce dans laquelle le compositeur, grâce à un développement motivique très serré sur des cellules caractéristiques, réussit à donner une unité aux multiples petits tableaux de fantaisie pleins de rêve ou de verve. La couleur en est résolument moderne, fauve (on songe à la période correspondante de Georges Braque), avec des teintes pures et tranchées (rendues par une écriture pianistique plus serrée et plus contrapuntique) et atteste de la découverte par Séverac de l’éclat rauque des instruments traditionnels catalans.

Ces analogies picturales n’engagent que l’auteur de ces lignes, un pianiste qui a passé tant d’heures enchantées en compagnie de ces chefs-d’œuvre et même, pourrait- on dire, de l’homme dont ils sont nés. Ces musiques sont tellement enthousiastes, inspirées, humaines que chacun peut vivre, grâce à elles, une promenade intérieure et s’inventer au fil de l’écoute ses propres images !

François-Michel Rignol