L'apothicairerie
Mithridate
Pot à pharmacie. Mithridate, 18e siècle, faïence © Mairie de Toulouse, musée Paul-Dupuy, Inv. 710, cliché M.-P. Chaumet, avec leur aimable autorisation
Le mithridate, également connu sous les noms de mithridatium, mithridatum ou mithridaticum, fut un remède semi-mythique utilisé comme antidote contre l’empoisonnement. Il aurait été créé par le roi Mithridate VI Eupator au 1er siècle avant J.-C.
Suite à l’assassinat de son père par empoisonnement, le roi Mithridate devint obsédé par les intrigues et les conspirations de sa cour et se consacra à l’étude des plantes vénéneuses pour s’en protéger. Il fit de nombreuses expériences sur ses prisonniers, les empoisonnant quotidiennement puis essayant de les sauver par des antidotes. Mithridate fit aussi des essais sur des animaux : il nourrissait ses canards d’arsenic et de chair de vipères (qu’à l’époque on croyait être venimeuse), puis il buvait leur sang pour s’immuniser. A force d’expérimentations sur lui-même, il devint insensible à certains poisons. Vaincu par Pompée, il voulut se suicider par empoisonnement, mais n’y parvint pas et dut se faire tuer par un de ses gardes.
Pompée ramena la recette à Rome, où le mithridate fut également nommé « Damocrate », du nom du médecin romain qui mit la description du mithridate en vers hexamètres. Au Moyen Age et à la Renaissance, c’était l’une des drogues les plus complexes et les plus recherchées car son usage s’était étendu à d’autres maux : peste, fièvres malignes, petite vérole, scorbut, épilepsie, apoplexie, paralysie, etc. Il était connu pour fortifier l’estomac et le cerveau. La fabrication du mithridate s’est poursuivie jusqu’au 19e siècle. Ce fut l’un des principaux médicaments dans les magasins d’apothicaires.
Aujourd’hui, si le roi Mithridate est bien passé à la postérité, c’est moins pour sa recette miracle que pour son processus de mithridatisation, qui consiste à ingérer des doses croissantes d’un produit toxique afin d’acquérir une insensibilité vis-à-vis de celui-ci. Une application médicale actuelle est la désensibilisation spécifique à un allergène, par exemple le venin des guêpes.
La recette
D’après Pline l’ancien, « L’antidote de Mithridate est composé de cinquante-quatre substances ; aucune n’y entre pour le même poids ».
Aulus Cornelius Celsus détaille une version de l’antidote dans De Medicina (environ 30 après J.-C.). Il contenait : costmary 66 grammes, drapeau doux 20 grammes, hypericum grammes, Gomme naturelle 8 grammes, sagapénum 8 grammes, jus d’ acacia 8 grammes, Iris d’ Illyrie 8 grammes, cardamome 8 grammes, anis 12 grammes, Nard gaulois ( Valeriana italica ) 16 grammes, racine de gentiane 16 grammes, feuilles séchées de rose 16 grammes, larmes de pavot 17 grammes, persil 17 grammes, casia 20-66 grammes, saxifrage 20-66 grammes, ivraie 20-66 grammes, poivre long 20-66 grammes, storax 21 grammes, castoréum 24 grammes, encens 24 grammes, jus d’ hypocistis 24 grammes, myrrhe 24 grammes, opopanax 24 grammes, feuilles de malabathrum 24 grammes, fleur de jonc rond 24-66 grammes, térébenthine 24-66 grammes, galbanum 24-66 grammes, Graines de carottes crétoises 24-66 grammes, nard 25 grammes, opobalsam 25 grammes, bourse à berger 25 grammes, racine de rhubarbe 28 grammes, safran 29 grammes, gingembre 29 grammes, cannelle 29 grammes. Les ingrédients étaient ensuite « pilés et repris dans du miel pour en faire un électuaire, préparation pharmaceutique ressemblant à de la pâte molle. Un morceau de la taille d’une amande était donné dans du vin. »
Accompagnant la recette, Pline l’Ancien nota son scepticisme à l’égard du mithridate : « L’antidote mithridatique est composé de cinquante-quatre ingrédients, dont aucun n’a le même poids, tandis que pour certains, il est prescrit un soixantième d’un denier. Lequel des dieux, au nom de la Vérité, a fixé ces proportions absurdes ? Aucun cerveau humain n’aurait pu être assez affûté. C’est clairement un défilé voyant de l’art, et une vantardise colossale de la science ». Ses doutes furent souvent partagés, et le terme de vendeur de mithridate devint avec le temps synonyme de charlatan.
Roi du Pont (aujourd’hui en Turquie) et du Bosphore de la dynastie des Mithridatides. Personnage complexe, ambitieux, inflexible aussi, amateur d’art, Mithridate est souvent comparé à Hannibal pour sa haine de Rome. Il est également connu pour être à l’origine du concept de mithridatisation, qui consiste à consommer régulièrement de faibles doses de poison pour y accoutumer l’organisme et y développer une résistance.