L'apothicairerie

Eau de frai de grenouille

Pot à pharmacie « aqua sperma », quaitrième quart 18e siècle, faïence de grand feu © Musée des Hospices civils de Lyon, 2007.0.2572.M, cliché Aurélie Troccon et Manon Mauguin, 2014, avec leur aimable autorisation

Mais quelle est cette eau rafraichissante qui donne le teint frais ? C’est l’aqua spermatis ranarum, communément appelée « l’eau de frai de grenouille ». Eclairons sans tarder les lecteurs qui ne maîtrisent ni le latin ni l’étude des batraciens : par « frai » il vous faut comprendre les œufs de la grenouille. Elle permet notamment, en trempant un habit dans ce liquide puis de s’en vêtir, de soigner les coups de soleil.

La recette en est fort simple. Si vous lui rajoutez quelques ingrédients, vous pouvez alors utiliser le miraculeux remède pour de nombreuses autres afflictions. Selon Nicolas Lémery (1645-1715), « l’eau de frai de grenouille était autrefois considérée propre pour les hémorragies, pour calmer la douleur de la goutte, pour les cancers, les érysipèles & pour les autres rougeurs de la peau ». On note aussi pêle-mêle qu’elle fut utilisée pour nettoyer les plaies accompagnées d’inflammation, pour corriger l’acrimonie des humeurs et pour nettoyer les plaies des yeux et les lésions génitales… Tout un programme.

Cela dit, ce remède eut aussi de nombreux détracteurs. Ainsi Louis Vitet (1736-1809) affirmait que le frai de grenouille « ne suspend pas avec plus de force que l’eau commune, l’hémorragie, l’hémorroïdal et l’hémorragie utérine ; il n’enlève point les taches de la peau, la goutte-rose et les dartres. L’eau distillée de frai de grenouilles a moins de vertus que l’eau du Rhône filtrée, pour quelque espèce de maladies que ce soit. » D’autres évoquèrent dès le 18e siècle l’intérêt tout prophylactique de ne pas utiliser l’eau stagnante des mares et marais pour se soigner. Malgré tout, l’eau de frai de grenouille fut utilisée jusqu’au XIXe siècle.

Article « Eau de frai de grenouille » dans : Baumé, Eléments de pharmacie théorique et pratique…, Paris, Samson, 1773, p. 337-338, Bibliothèque de Toulouse, Fa C 112
Extrait de la pharmacopée universelle de Lémery dans : James, Diderot (trad.), Dictionnaire universel de médecine, tome 5, Paris, 1748, p. 1036, Gallica

Apothicaire, chimiste et médecin français. Chimiste de formation, il est arrivé tardivement à la médecine. Il a marqué l’histoire de la chimie pour avoir tenté d’appliquer une approche corpusculaire à cette science alors balbutiante. Le livre qu’il a publié en 1675, le Cours de chimie, devenu un classique de la littérature scientifique, connut dès sa sortie un succès considérable et fut régulièrement réédité jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.

Médecin et maire de Lyon (en 1790). Après des études chez les Jésuites, il part à Montpellier pour faire médecine. Il est agrégé au Collège des Médecins de Lyon.