Autour de Déodat

Un engagement occitan – Jean-Jacques Cubaynes

Introduction : quel est le lien de Déodat de Séverac avec la culture occitane ?

Ce lien est vital et omniprésent dans son œuvre et dans ses engagements. Déodat de Séverac se sait l’héritier d’une civilisation qui a été la première de l’Occident chrétien des 12ème et 13ème siècles, il en incarne et défend, en moderne « troubadour », les valeurs spirituelles et humanistes de Convivencia, cet art de vivre ensemble en toute égalité dans le respect des différences, de Paratge, où la vraie noblesse est celle du cœur et de l’esprit, de Gai Saber, goût de la connaissance, de Joi, exaltation poétique, de Fin Amor, Amour épuré.

Il ressent la suffisance intellectuelle parisienne comme une insulte faite à la grandeur occitane. Il veut donc pour la culture occitane un statut de culture à part entière, il comprend que c’est dans le contexte du monde méditerranéen, héritier naturel de la latinité, que cette place peut être légitimement affirmée auprès des cultures sœurs, catalane, espagnole et italienne. Il souhaite ainsi la création d’une Escola Mediterrània de Musica centrée à Barcelone, rayonnant de Valence à l’Italie.

Mais pour être culture à part entière, la culture occitane ne doit pas rester enfermée, comme le souhaiterait le centralisme parisien , dans une dimension exclusivement traditionnelle, « folklorique », mais doit s’affirmer culture « savante ».

Séverac mène en ce sens un véritable engagement militant, il est un des rares musiciens du domaine « savant » à oser composer sur des textes en langue occitane, il rejette le dualisme hiérarchisant savant-traditionnel et démontre l’interpénétration et la complémentarité des deux domaines, ainsi il introduit des instruments traditionnels, catalans d’ailleurs, dans sa musique symphonique, il fait de la terre et de ses traditions, le paysage émotionnel de sa création « savante ». Enfin, il s’attache à valoriser, ennoblir, le monde des « Gens de la Terre » dépositaire de l’Art traditionnel en s’autoproclamant « Musicien Paysan ».

Il faut préciser que si son engagement a valu à Séverac le désintérêt relatif de Paris, il lui aura permis par contre d’acquérir dans son Midi, en Languedoc et en Catalogne, une stature emblématique aussi bien auprès du peuple, qu’auprès des intellectuels occitanistes et catalanistes.

Étudions de plus près les arguments exposés dans cette introduction.

St-Félix-de-Caraman, Le moulin de Salvy – Collection Magali et Emmanuel Delecourt

Héritier d’une race

Séverac est l’héritier d’une civilisation, lui-même aurait probablement usé d’un autre mot qu’il emploie fréquemment dans ses écrits – articles pour revues et journaux, son mémoire ou ses lettres – celui de race, qu’il ne faut pas prendre au sens génétique ou anthropologique mais plutôt dans une acception culturelle ou géographique, race désignant, dans un sens voisin de patrie, la communauté à laquelle une personne appartient.

Déodat, Baron de Séverac est le descendant d’une lignée de vieille noblesse du pays d’Oc puisqu’installée dès le XIe siècle en Gévaudan aux confins de l’Aveyron et de la Lozère au château de Séverac, on a trace dans un acte de donation d’un Déodat 1er vivant en 1070, seigneur de Séverac, vassal du vicomte de Millau, lui-même vassal du comte de Toulouse. Le généalogiste Moréri attribue même aux Séverac une communauté d’origine avec les rois d’Aragon, ce qui expliquerait que leur blason contienne dans deux de ses quatre parties celui de la maison d’Aragon, d’argent à quatre pals de gueules. Il peut être intéressant de noter que les Séverac sont présents en terre d’Oc plus d’un siècle avant la croisade des albigeois qui créera une nouvelle noblesse non plus de souche languedocienne, mais issue des seigneurs croisés originaires du nord qui s’emparèrent des biens des seigneurs locaux vaincus, exemple de cette nouvelle noblesse, la maison de Lévis dont le fondateur Gui 1er était un lieutenant de Simon de Montfort qui devint après la croisade un des seigneurs les plus puissants du Languedoc royal.

Les Barons de Séverac ont-ils participé aux combats de la croisade des albigeois ? Dans quel camp ? Au vu de leurs liens de vassalité, ils auraient dû combattre sous bannière toulousaine, leur nom ne figure pas dans la Canso de la crosada.

Il est par contre certain que notre Déodat, près de sept siècles plus tard a choisi son camp, quelques phrases en témoignent : Dans l’article Toulouse et l’évolution musicale contemporaine qu’il publie dans La renaissance latine du 15 août 1902 on trouve :

« […]le « Capitole » nom qui sonne en fanfare de bataille à travers ce doux pays des violettes ! Le « Capitole », nom qui eût été capable de mettre en fuite Simon de Montfort lui-même et ses troupes de sauvages dévots ! »

Dans son mémoire La centralisation et les petites chapelles musicales on trouve aussi :

« Nos ancêtres aimaient leur art régional comme ils aimaient la vie. Cet art passait pour eux avant même le souci de l’existence, puisqu’à la veille du jour qui devait consommer leur ruine (le triomphe de la Croisade de l’odieux Simon de Montfort) ces imprudents épris d’harmonie, et sur qui le conquérant posait déjà sa main de fer, chantaient encore. »

Héritier d’un modèle culturel

En famille à la campagne

La formation du jeune Déodat, c’est d’abord jusqu’à ses 14 ans, au sein de sa famille qu’il la reçoit, de son père et d’un précepteur. Il y baigne dans l’harmonie d’une famille unie et dans la pratique des arts, musique, peinture ; ouverture d’un jeune esprit qu’il décrit lui-même dans le poème qu’il voulait placer en exergue de sa suite pour piano En Languedoc d’abord appelée Loin des villes dont voici un large extrait :

« Mon père était bon et aimait les champs les champs paisibles où l’amour tressaille quand les bergers chantent avec le vent qui frémit en des arbres de grisaille, les champs du soir voilés de rêve bleu. Mon père était bon et croyait en Dieu mais en un Dieu si tendre et si clément que les théologiens l’auraient maudit s’ils l’avaient su…Lorsque j’étais petit souvent il me prenait sur ses genoux puis il disait tout bas : « Aime l’amour et déteste la haine… Aime le jour et la nuit… quand on rêve… » Je l’écoutais parce qu’il avait un regard très doux et qu’il me montrait la campagne d’or et les cheveux d’or des soleils couchants… Parfois il nous menait […] sur les coteaux, le long des routes blanches… Pourquoi disait-il : « Que cela est beau ! Ces bois et le vent qui rit dans les branches… et ces brumes d’or qui planent là-haut ! » Pourquoi disait-il : « Que cela est beau ! » Je ne sais pas mais c’était beau quand même et c’était bon d’aimer ces choses-là et ces gens mal-vêtus qui vivaient là sur ces champs qu’on déchire et où l’on sème, avec de l’or en pluie, la vie des Hommes… […] »

Déodat retrouve la sérénité de cette vie familiale heureuse, au long de ces promenades qu’il affectionne, dans la contemplation de la Nature et du travail des hommes de la terre soumis au cycle immuable des tâches saisonnières.

« Que de fois je l’ai vu s’absorber dans la contemplation des allées et venues d’un insecte, de ces insectes lents qui mettent des heures à traverser un chemin et pour qui le temps ne semble pas exister.[…] » « Il aimait profondément la nature, mais non pas à la manière d’un romantique, comme un Chateaubriand qui n’y cherchait qu’un cadre pour ces attitudes ampoulées ; il l’aimait pour elle-même et s’y absorbait, s’y confondait dans sa petitesse d’homme qui se sait perdu dans ce tout harmonieux et se tient, sans se plaindre à sa modeste place à côté de son frère l’insecte et de son cousin le peuplier. »

Gustave Violet in Blanche Selva, Déodat de Séverac, Les Grands musiciens par les Maîtres d’aujourd’hui n°2, Paris Librairie Delagrave, 1930 p.20-21

« Dès son enfance, nous avons tous vu Déodat s’arrêter longuement devant les horizons changeants et là, se laisser envahir par l’ambiance des harmonies grandioses et des polyphonies confuses et combien mélodieuses qui s’unissent merveilleusement dans les scènes champêtres. Vraiment Déodat en face de la nature, ne regardait pas, il écoutait, il ne voyait pas, il entendait. Je veux dire par là qu’il recevait en sonorités tous les chocs de l’extérieur et qu’il n’avait d’autre manière d’exprimer sa pensée que la manière musicale ».

Henry Guillebert des Essars in Blanche Selva op. cit.p.30-31

La famille Séverac sur le perron de la maison de Saint-Félix-Lauragais – Collections de la Bibliothèque de Toulouse

Dans cette campagne lauragaise, en cette fin de XIXe siècle, la langue française n’est qu’un particularisme face à l’omniprésence de la langue d’oc. Dans le milieu familial et social des Séverac on parle français, la langue d’Oc ou plutôt le « patois » comme on dit, est la langue du peuple, de ce peuple que Séverac écoute et voit dans les champs et au long des routes. Il est communément admis que c’est dans les premières années de la vie que se fait le mieux un apprentissage naturel, « d’oreille », des langues et que des enfants y peuvent alors devenir bilingues sans problèmes, l’oreille musicale de Déodat a donc sans aucun doute capté et retenu cette langue d’oc sans avoir appris à la parler. Une lettre qu’il envoie de Sète au poète chaurien Prosper Estieu le 7 novembre 1910 confirme notre hypothèse :

« Cher et grand poète (auquel je n’ose pas écrire en langue d’Oc parce que je ne sais pas… bien que ce soit ma langue quotidienne) ô honte ! »

Séverac semble donc avoir eu une bonne maîtrise orale de la langue d’Oc, qu’il lisait couramment, ce qui n’est guère surprenant pour le brillant latiniste qu’il était comme nous allons le voir.

Le modèle gréco-latin

La jeune vie de Déodat va changer lorsqu’à 14 ans, il quitte le cocon familial pour devenir pensionnaire de l’École de Sorèze, qui était alors un prestigieux collège tenu par les frères dominicains et fréquenté par tous les fils de famille de la région. Déodat y fait, selon l’expression consacrée, ses « humanités » et étudie ce qui était alors la base obligée du savoir, la civilisation gréco-romaine, avec laquelle il se découvre très vite des affinités, il dévore dans le texte Virgile, (Géorgiques et Bucoliques, rien d’étonnant à cela lorsqu’on se rappelle les promenades de Déodat), Horace, Pline le Jeune…

Frédéric Mistral

A côté des grands classiques latins et grecs, Séverac s’initie à la littérature contemporaine de langue française – Baudelaire, Verlaine, Maeterlinck, Verhaeren -, mais aussi de langue d’Oc, il admire tout particulièrement Frédéric Mistral dont il sera plus tard un fils spirituel, vouant au maître de Maillane un véritable culte. On trouve chez l’un comme chez l’autre toute une imprégnation de la terre aimée, leur œuvre reflète la vie d’un pays, la vie de la campagne, la vie de la terre.

Séverac mettra comme épigraphe sur la première page de sa suite pour piano En Languedoc publiée en 1905, un vers de Mistral tiré de Mirèio :

« Cantan que pèr vautre, o pastre e gènt di mas…»

« Ils ne chantent que pour vous pâtres et gens des Mas…»

Les liens entre les deux hommes seront très étroits au point que Mistral acceptera d’être le parrain de la fille unique de Séverac, prénommée Magali, née le 4 janvier 1913. Le 11 mai 1913, Déodat est aux côtés du Maître lors de sa dernière Santa Estèla, Mistral mourra le 25 mars 1914, il exprime dans une lettre à sa mère envoyée d’Aix en Provence1, son admiration pour le Maître, sa joie de l’avoir vu, comme un enfant émerveillé et intimidé qui aurait rencontré son idole.

« Chère maman,

Je viens de vivre ici pendant ces fêtes d’inoubliables heures ![…] La cérémonie de Mistral fut grandiose, triomphale ! Jamais souverain n’a été accueilli comme ce poète que dix mille personnes, venues de tous les coins du Midi acclamaient de toutes leurs forces ! On a dételé les chevaux de sa voiture et la jeunesse des écoles l’a ainsi traîné comme un César, vers l’Hôtel de ville où avait lieu la réception du Poète et des félibres. Ces choses là ne peuvent se raconter il faut les avoir vues ! Au banquet, après le chant de la Coupo santo et un discours du Capoulier, Mistral s’est levé et, d’une voix incroyable pour un vieillard de 84 ans, il nous a chanté une vieille chanson à la gloire des aieux ! C’était du délire !! J’ai pu après le banquet, m’approcher du Poète et l’accueil qu’il m’a fait fut tellement délicieux que je me sentais absolument paralysé… Mais il m’a tout de suite parlé du Poème du Rhône pour me dire « sa joie que j’en écrive la musique ». […]il m’a cité toutes mes œuvres ! (quelle mémoire pour un vieillard) et m’a donné rendez-vous à Maillane fin août,[…] Vous pouvez deviner d’après mon récit toutes les émotions que j’ai ressenties ces jours-ci ! Cela fait du bien de temps en temps ![…]

Dodo »

Le projet de mettre en musique Lou Pouèmo dóu Rose, Le Poème du Rhône occupa longtemps l’esprit de Séverac, en 1905, il demande à René de Castéra de lui envoyer le livre car il veut le relire de plus près, en 1907, il écrit qu’il s’est engagé à le mettre en musique, des problèmes d’adaptation de l’œuvre retardent longtemps le projet, et lorsque en 1912 – 1913, tout semble enfin réglé comme on le lit plus haut, (une lettre de Mistral à Gabriel Boissy du 11 juin 1912 le confirme également), le projet disparait de la correspondance de Séverac sans explication.

En bon disciple de Mistral, Séverac adhérera au Félibrige, assez tardivement cependant, en 1913, un reçu de cotisation en témoigne.

Frédéric Mistral, 1er avril 1909 – Agence Rol – BnF, Gallica

L’homme méditerranéen

« Méditerranée avant tout; on peut dire que ce fut là la devise de Séverac, toute son œuvre s’y achemine ; des coteaux de Saint-Félix à l’incomparable baie de Banyuls, des plateaux de la Cerdagne, à cette virgilienne oasis de Céret où l’on baigne dans une tiédeur qui a le goût des vins du Roussillon, Séverac est allé selon le cri de Goethe mourant, vers plus de lumière encore »

François-Paul Alibert2

« Chère Amie, En passant ici je pense à vous et aux vôtres. Quelle admirable région ! Quelle mer divine ! Quel soleil !!! C’est bien ici le sol élu, le cœur du monde que cette terre qui sert de cadre à la bienaimée Méditerranée !! Les autres mers ont peut-être de plus hautes vagues, mais elles ne portent pas au front une auréole pareille : le génie éternel des Latins nos pères. Amitiés en étincelles.

Déodat »

Blanche Selva op. cit 5 ; p.58

Là encore Déodat de Severac suivait la voie tracée par Mistral dans son ode A la race latine (1878), lorsque le maître appelait ses compatriotes à chanter dans leur langue, leur patrie et leur mer « toujours souriante ».

Dès 1906, Séverac voulut rendre hommage à la Mare nostrum par un poème lyrique en cinq parties, Méditerranée, texte de François Paul Alibert, chanté, mimé et dansé, où il voulait selon Blanche Selva, « par la musique, les chants, les danses typiques, tenter de caractériser les merveilleux pays qui sertissent en beauté ce divin joyaux d’azur2. »

Une lettre de Séverac non datée à son ami Carlos de Castera, nous livre ses intentions :

« Ma « symphonie méditerranéenne » est moins au point ; la province de Valencia, la Catalogne, la Provence, m’ont envoyé leur brise folklorienne ; jusqu’à présent, en dehors d’une brise parfumée de fleurs d’oranger (v. Ambroise Thomas !), l’Italie ne m’a rien apporté qui vaille. »

L’œuvre ne fut sans doute, comme beaucoup d’autres, jamais achevée, bien qu’ayant fait l’objet d’esquisses et qu’elle ait toujours occupé l’esprit du compositeur.

Militance et Engagement

Les milieux régionalistes

Son diplôme de bachelier en poche, Séverac s’installe à Toulouse en novembre 1890, tout naturellement il se rapproche des milieux régionalistes et notamment des jeunes poètes et écrivains Marc Lafargue Emmanuel Delbousquet et Maurice Magre qui fondent en 1892 le groupe les Premiers essais des Jeunes. En 1896, Marc Lafargue et ses amis fondent L’Ame latine, revue au programme essentiellement régionaliste, culte du génie méridional et exaltation de l’idée latine. Les Essais des Jeunes ayant disparu faute d’argent, Marc Lafargue fondera la revue L’Effort, (numéro 1. avril- mai 1901).

En 1896 Séverac « monte » à Paris suivre les cours de la Schola Cantorum nouvellement fondée. Sitôt installé, il fréquente surtout des toulousains venus comme lui poursuivre leurs études dans la capitale, il retrouve Marc Lafargue entré à l’Ecole des Chartes ; Ernest Boyer qui préparait sa médecine; le sculpteur Lamasson entré, lui, aux Beaux-Arts.

En 1897, il s’affilie à un groupe de poètes occitans : Paul Rey, Paul Redonnel, directeur de La Plume, Charles Brun directeur de l’Action régionaliste. Au printemps 1898, Séverac prend contact avec le poète chaurien Prosper Estieu.

« A Paris, quoique musicien, je suis « affilié » à un groupe de poètes occitans bien connu de vous : Rey, Redonnel, Ch. Brun, tous grands admirateurs de vos œuvres et comme j’étais venu passer quelques jours chez moi à Saint-Félix – très près de vous comme vous le voyez – Rey m’avait chargé de vous apporter sa sympathie et de vous donner des nouvelles de cette ligue occitane pour laquelle il combat si farouchement. Je serais heureux en rentrant à Paris de pouvoir lui dire que je me suis acquitté de sa commission. »

Séverac n’adhère cependant pas avec le même enthousiasme à tous les milieux occitans de Paris c’est ainsi qu’il écrit toujours à Prosper Estieu, le 22 juin de la même année, au sujet des Cadets de Gascogne :

« […] Les cadets et autres, tous de Gascogne, ont été flairés prudemment (lauragaisement si possible) et j’ai depuis la conviction qu’il y avait là une coterie : une Basoche enfin. Vous connaissez sans doute la composition du Comité des Fêtes, je n’ai pas besoin de vous dire combien il est peu libéral et peu éclectique. Ainsi : même la Cantate Rey-Paul Vidal ne passera sans doute pas ! au programme… C’est vous dire l’accueil que l’on m’aurait fait à moi pauvre larve justement ignorée… Je crois, vu tout ceci, qu’il faut renoncer à ce que je vous avais proposé mais je ne renonce pas pour autant à écrire de la musique sur vos vers ( si vous le permettez). Je fus trop enthousiasmé de votre lecture pour ne pas essayer de faire un « mariage » de vos idées avec les miennes… Si le ménage ne va pas… eh bien ! le divorce est là… En tout cas, une fois réalisé si ma conception ne vous plait pas, si elle détonne avec la vôtre (vous me le direz carrément), soyez certain que je la brûlerai sans regrets… Comme dans la République antique, en art les enfants chétifs doivent être détruits… Vous m’avez l’air d’aimer si peu les louanges que je n’ose vous dire la passion que j’éprouve pour le « Terradou ». Si nous nous retrouvons, ces vacances – ce qui est probable – avec les bons occitans Rey, Brun, Redonnel… Vous verrez combien on est enthousiaste de vous et de votre œuvre. Ils promettent de passer là-bas et me chargent de vous en faire part.[…] »

Malgré ses réticences Séverac fera partie de la caravane des Cadets de Gascogne qui feront le voyage au pays du 13 au 17 août, pour les Fêtes de Gascogne et de Languedoc, le numéro spécial Les cadets de Gascogne de la Revue de France N°22 de septembre 1898, entièrement consacré à ces fêtes signale sa présence à Carcassonne le 13 août et on le voit sur une photo d’un groupe de quatre-vingt à cent personnes, prise dans la cité. Autres cadets cités, les peintres Jean-Paul Laurens, Benjamin Constant, Paul Gervais, le sculpteur Falguière, le comédien Mounet-Sully, les frères Maurice et Albert Sarraut futurs directeurs de la Dépêche du Midi, l’écrivain Emile Pouvillon, etc… « L’inoubliable voyage au pays d’Oc » se terminera le 17 août au soir, chez la célèbre cantatrice Emma Calvé, en son château de Cabrières dans l’Aveyron. Certains cadets ayant quitté la troupe avant la fin du périple, Il se pourrait que Séverac n’ait pas été de cette soirée, car celui-ci, d’après une lettre adressée à sa mère, semble n’avoir rencontré Emma Calvé pour la première fois qu’en Avril 1906 lors d’une visite de deux jours à Cabrières, faite en compagnie de Charles Bordes.

Réflexion

Dans la grande ville, loin de chez lui, Séverac a la nostalgie de son Midi, il ne pense qu’au paradis perdu, à sa terre natale. « Malgré les joies d’Art que je puis me procurer ici, je regrette la liberté vraie des champs. Je songe à ce pic de Rêve dont je vous parlais l’autre jour, à ce pic où l’on vivait tranquille avec une flûte de pan, ses amis, ses aimées et une chèvre » écrit-il à sa famille. « C’est en pensant à cela que j’ai composé mes Nymphes au crépuscule. » « Il en parlait avec une sincérité d’accent, une chaleur dans le ton, un emportement affectueux qui subjuguaient le cœur » confiera Paul Le Flem son condisciple à la Schola.

Il va recréer cette proximité avec sa terre d’Oc dont il est effectivement séparé, en en faisant le paysage unique de son œuvre, quelques titres d’œuvres composées pendant cet exil parisien en témoignent amplement : Vent d’Autan cantilène pour piano (1898), Le Chant de la terre poème géorgique pour piano (1899-1900), Nymphes au crépuscule (1901), En Languedoc (1903- 1904), Le Cœur du moulin (commencé dès 1901 et achevé en 1906) dont l’action se passe au moment des vendanges dans un village qui pourrait être St Félix…

Le cœur du moulin : 2ème épreuve corrigée par le compositeur – Collections de la Bibliothèque de Toulouse

Au printemps 1903, il projette un ouvrage sur le troubadour Raimon de Miraval : « Je suis en ce moment à la « Mazarine », écrit-il à sa sœur Alix, « où je cherche des documents pour l’œuvre que je veux entreprendre ces vacances : Raymond de Miraval. Ce serait une grande chose… Mes recherches sont assez fructueuses grâce à mon amie Duval la bibliothécaire de l’Arsenal qui m’aide ferme. […] Quand je viendrai à Saint-Félix, j’espère donc avoir en mains tous les tuyaux nécessaires qu’il me serait mal aisé de trouver à la bibliothèque de la « Communo »… » Ce projet comme beaucoup d’autres fut rapidement abandonné sans qu’on en connaisse les raisons.

Ce pays qu’il idéalise, il en connaît le passé prestigieux, il rêve de lui redonner sa grandeur passée ; pour cela il faut agir, militer, s’engager. Pour jeter les bases de son renouveau, il lui faut dénoncer les causes qui ont conduit à sa décadence et peu à peu au détour de lettres ou d’articles, transparaît son sentiment profond sur la cause majeure. Dès 1902, dans Toulouse et l’évolution musicale contemporaine article cité plus haut paru le 15 août 1902, Séverac se montre particulièrement caustique sur le goût musical des toulousains.

« Mais hélas si nous quittions les quais (de la Garonne dont il vient de faire une description superbe et émerveillée, ndr) et que nous rentrions dans la cité par la rue Valade, nos illusions sont bien compromises…Bientôt en effet, s’érige le « Capitole » étalant sa lourdeur de vieille commère arrogante sous le regard navré du clocher du Taur ».[…] « Dans l’aile gauche le théâtre municipal, pieux sanctuaire des adorateurs du contre-ut, sommeille. C’est ici que l’on pourra pendant l’hiver, s’édifier sur les capacités artistiques des amateurs d’opéras toulousains. Nulle part, peut-être, le contraste qui existe entre l’âme populaire livrée à elle-même dans la magie de la nature et l’âme populaire vaincue asservie par l’Art officiel n’apparaît plus éclatant. »[…] « D’où vient cet état d’esprit ? D’où vient cette contradiction entre les tendances naturelles des « occitans » à comprendre les beauté réelles et ce mauvais goût implanté qui fait trôner à la scène les laissés pour compte du répertoire de 1860 ? »

Il plaisante dans une lettre2 à son ami René de Castéra sur les réactions que provoquera cet article. « Dans le prochain numéro de la Renaissance latine vous lirez une petite chronique sur l’esprit musical des toulousains qui vous amusera un peu je crois. D’ailleurs lorsqu’elle aura paru, je me ferai « lyncher » si j’ai le toupet d’aller au Capitole un soir de « Traviata ».

Dans un article intitulé Lettres du Midi – La musique et le chant dans les Pyrénées ariégeoises, toujours écrit pour La Renaissance latine et paru cette fois le 15 octobre 1902, il ajoute :

« Nous avons dit ici-même dans la revue du 15 août combien le chant populaire ancien, dans le Midi, avait dû lutter contre l’invasion de la romance parisienne, boulevardière ou montmartroise ».

Voilà l’ennemi est nommé, c’est Paris !

Ce ressentiment contre l’omnipotence parisienne, ce rejet de Paris, alors qu’il est lui-même acteur important de cette vie artistique parisienne qu’il supporte de moins en moins, va conduire Séverac, dans une sorte de défoulement, comme s’il pouvait enfin dire ce qu’il avait depuis longtemps sur le cœur parce qu’il sera désormais libéré de Paris, à faire de son mémoire de sortie de la Schola Cantorum qui n’aurait pu être qu’un classique travail de fin d’études sans grande originalité, un vrai manifeste, un credo artistique intitulé « La centralisation et les petites chapelles musicales » qu’il fera publier pour mieux encore « enfoncer le clou » dans Le Courrier musical de janvier à mars 1908.

Il y fait le bilan de onze années de vie parisienne ; expose ses idées sur la création artistique, règle, en toute franchise et en usant lorsqu’il le faut du mode satirique, ses comptes avec le milieu culturel parisien dont il dénonce sans ménagement l’emprise stérilisante sur la vie artistique française. Dès les premières phrases le ton est donné sans « langue de bois » :

« La Musique française actuelle est aux prises, comme toutes les branches de l’Art, avec un ennemi redoutable : la centralisation. Cet ennemi, qui risque d’entraver l’essor de quelques isolés, est parvenu aujourd’hui à l’apogée de sa puissance. Tous les vrais amis de l’Art national reconnaissent le fait et se lamentent, mais s’ils sont unanimes à le déplorer, ils se gardent bien hélas ! de prêcher d’exemple. Ils fondent des ligues, ils donnent des conférences, ils organisent des congrès où des ordres du jour flétrissent à l’unanimité l’esprit centralisateur ; mais aussitôt après les voici revenus, par l’express le plus rapide au foyer même de l’épidémie qu’ils prétendent combattre. Il est si difficile, à les entendre, de vivre dans une ville de province ou à la campagne ! Les gens y sont si vulgaires, si ridicules ! La meilleure façon de convaincre les simples et les hésitants serait, à notre avis, de se décentraliser soi-même… L’exemple d’un Mistral, d’un Cézanne ou d’un Francis Jammes est d’un effet autrement puissant que les plus éloquentes théories. Les musiciens actuels sont, à part quelques très rares exceptions, la proie de cet ennemi et pour si éloignés qu’ils soient en apparence les uns des autres par des procédés de composition, ils sont tous plus ou moins ses victimes bénévoles. Ils font de la musique de Paris et pour Paris ; ils s’écartent ainsi progressivement et de plus en plus du génie propre aux diverses provinces françaises où ils sont nés. A toutes les belles époques d’Art, les œuvres ont été non pas seulement l’expression d’un individu isolé dans une contrée déterminée, mais la synthèse même de l’âme de cette contrée. »

La Centralisation et les petites chapelles musicales – Déodat de Séverac – Collections de la Bibliothèque de Toulouse

Tout est dit dans ces vingt premières lignes, avec clarté, avec une honnêteté intellectuelle sans concession au respect obligé ou affectif dû aux maîtres ou aux amis avec qui il a partagé ses onze années de vie parisienne, fierté méridionale ou esprit chevaleresque et honneur d’aristocrate qui refuse les compromis bourgeois ?.

La suite de la « thèse » sera une illustration des idées qui viennent d’être exposées. Les chapelles musicales (I – les officiels, II – Les indépendants) sont analysées, disséquées devrait-on dire, d’une plume précise, parfois féroce et jouissive (Ah ! le cursus obligé de l’artiste officiel !!), toujours stylistiquement maîtrisée.

En forme de conclusion Séverac propose ses remèdes :

« En ce qui concerne les « officiels » il n’y a, à notre avis, qu’un seul remède, il est radical : la séparation des Beaux-Arts et de l’État. » […] « Ce serait alors le moment d’organiser des écoles municipales régionales et d’esprit régionaliste » […]. « Les écoles que nous voyons en rêves seraient aussi indépendantes qu’il est humainement possible de l’être ; elles fonctionneraient sous la direction d’une sorte de comité de gens éclairés, amoureux des traditions mais respectueux des innovations qui les continuent… » […] « Le programme de notre école régionaliste serait bien entendu tout à fait différent de ceux que l’on suit dans les Écoles et les Conservatoires actuels. La base en serait la musique populaire, la chanson et la danse. » […] « Au lieu d’étudier les principes de la musique en des traités lamentables élaborés par des musicastres cupides et sans goût, on commencerait à épeler les notes sur des belles chansons populaires de la région, choisies et graduées suivant leur difficulté, sous forme de solfège. »[…]l’utilité de la chanson traditionnelle au point de vue de l’Art régionaliste est considérable. Nous pourrions le prouver en étudiant cette admirable École russe pour laquelle la chanson populaire a été un talisman merveilleux ; nous pourrions aussi citer les noms de ces charmants musiciens espagnols qui s’appellent Breton, Granados, Pedrell, et surtout l’adorable I. Albeniz et, chez nous, le grand Bizet, les Lalo et les Vincent d’Indy pour ne nommer que les plus célèbres ».

Séverac s’adresse pour finir à ceux de ses camarades qui se sont égarés attirés par « les mirages et les caresses de la cité, amante infidèle et méchante » :

« Nous voudrions les retrouver en des lieux calmes et paisibles où il n’y a que la nature sans apprêts (loin des musicologues, à l’abri des théoriciens et des conférenciers), peut-être au bord de cette admirable Méditerranée qui nous apprendrait la lumière et nous ferait craindre les brouillards malsains du nord, de tous les nords ! Ce serait aux bords de ces grèves, que nous serions heureux d’errer en leur compagnie. On ne parlerait pas de musique, on se contenterait d’écouter le vent et la mer, et l’on flânerait délicieusement jusqu’à ce qu’on ait quelque chose de magnifique à graver sur ces tablettes, car, comme le disait Pline le Jeune : « melius est otiosum esse, quam nihil agere ». Il vaut mieux ne rien faire que de faire des riens ».

Belle conclusion apaisée et pleine de souriante sagesse, comme s’il avait enfin soulagé son esprit et qu’une nouvelle vie commençait pour lui. Ce n’est pas un hasard si Séverac termine ce credo artistique en nous amenant sur les bords de la Méditerranée comme si là, loin de Paris, dans ce Sud méprisé, était la source unique de la culture et de l’Art.

Dans ce mémoire, nombreuses sont les allusions à la grandeur passée de Toulouse et de l’Occitanie, et à ce qui en est advenu.

« Pauvre Midi ensoleillé ! Pauvre cité des Raymond qui s’éveillait jadis aux sons amoureux des luths des troubadours !…il me parait difficile de donner une preuve plus convaincante de l’action néfaste et anti-régionaliste de l’Art officiel qu’en démasquant les ravages qu’il a causés dans cette ville. Nulle part peut-être l’antagonisme entre la beauté naturelle, traditionnelle et l’idéal factice du Paris actuel n’apparait plus évident.

Procédé rhétorique qu’on pourrait rapprocher d’une forme poétique illustrée par certains troubadours, le Planh, notamment par Bernart Sicart de Marvejols dans son célèbre chant sur les destructions engendrées par la Croisade.

« Ai Toloza e Proensa e la terra d’Agensa. Bezers e Carcassey. quo vos vi e quo-us vey » / « Ah Toulouse, Provence, et la terre d’Argence. Béziers et Carcassonne. qui vous vit et vous voit ».

Action

C’est bien une nouvelle vie que Déodat de Séverac entend désormais vivre, accordant ses actes avec ses idées, Séverac décide de continuer librement son chemin artistique loin de Paris : il n’y retournera que le temps de présenter les œuvres inspirées par son terroir : « il se décentralise lui-même » selon sa propre expression « à l’exemple d’un Mistral, d’un Cézanne ou d’un Francis Jammes ».

Dans un premier temps il revient vivre à St Félix. Son opéra Le Cœur du moulin qu’il porte en lui depuis 1902, est créé à l’Opéra Comique le 8 décembre 1909, salué par la critique il y connaitra cependant une carrière éphémère de 14 représentations. Séverac décide alors de s’installer à Céret en Roussillon en février 1910 auprès de ses amis Manolo Hugué et Frank Burty-Havilland qui l’y avaient précédé depuis janvier et depuis le pressaient de les y rejoindre. La nouvelle vie attendue commence pour lui. Il entre dans son rêve.

Céret avril 1912
« Mon cher Amade,
Vous me demandez mes impressions sur le Roussillon, sur les chants catalans et sur la musique des « coblas ». Je vous répondrai simplement que je ne connais un pays aussi beau que le Roussillon et dont l’âme soit aussi bien exprimée et traduite dans sa musique populaire. Notre cher Midi, des Alpes à l’Océan, est une région magnifique ! Il est d’une diversité admirable ! La douce et claire Provence, le Languedoc rutilant de lumière et austère à la fois, la Gascogne étincelante et frémissante comme une épée, le Pays basque tout bleu, tout vert et tout doré ! Mais le Roussillon est le pays bien-aimé des dieux ! Si le Pays basque est délicieux et plein de charmes, le Roussillon est tout simplement beau… Le premier pourrait être la patrie des romantiques, les classiques choisiraient certainement le second et cela suffit pour prouver sa supériorité.
Je suis né à Saint-Félix, petit village du Haut-Languedoc placé entre la Montagne Noire et les premiers contre-forts des Corbières. Mes yeux se sont ouverts à la lumière en voyant le Canigou, et, dès mes plus jeunes années, je me suis promis d’essayer plus tard de gravir les sommets de cette divine montagne, où devaient vivre des fées jeunes et belles. ! Ce jour vint enfin, mais j’ignorais ce qu’il pouvait y avoir au-delà. Lorsque je le vis, ce fut un émerveillement ! Les plaines du Roussillon, la Vallée du Tech, la mer de Virgile, les Albères, souvenirs d’enthousiasme et d’émotions intenses ! Puis un soir de fête m’amenait à Arles-sur-Tech et, pour la première fois de ma vie, j’entendis une « cobla » catalane. Il y aura bientôt douze ans, mais l’impression m’en est restée comme si elle était d’hier. A partir de cette soirée le Vallespir devint le pays de mon rêve ! »

Extrait de l’article Monsieur Déodat de Séverac et la musique catalane paru dans la Revue catalane, Perpignan, 15 mai 1912, n°65 pp 129-130

Amélie-les-Bains, le Canigou vue du Fort – Collection Magali et Emmanuel Delecourt

On pourrait remarquer qu’en passant de St Félix à Céret, Séverac relie consciemment ou non, Languedoc et Catalogne et reconstitue ainsi l’espace occitan historique issu des provinces romaines, cet état méridional, qu’un moment Pierre d’Aragon voulut constituer en unissant ses propres terres et celles de Toulouse, rêve que ruina définitivement la bataille de Muret en 1213. La lettre de Severac à Amade ne laisse aucun doute sur ce qu’il entend lorsqu’il parle de son Midi ; il va « Dis Aup i Pirenèu », des Alpes aux Pyrénées, selon l’expression de Mistral, de la Provence au Pays basque et au Roussillon.

La grande Occitanie transpyrénéenne du haut moyen-âge (Occitanie et Catalogne) devient
territoire, cœur de l’œuvre

« Il est dans la démarche de Déodat de Séverac, une unité profondément significative. Comme si le contact de sa terre et de son peuple, si liés à sa puissance créatrice, ne lui suffisaient pas, il fallut encore qu’il allât vers le lieu de la plus haute et de la plus pure occitanité. Pour tout Occitan bien né, la Catalogne est le tabernacle de la patrie secrète. La langue y a gardé sa pureté originelle et sa plus grande force, le peuple ses caractères et ses traditions, sa fierté nationale ; ses écrivains et ses artistes ont su fonder une culture de niveau international. Catalans nous allons vers vous, comme remonterait le fleuve vers sa source s’il était en son pouvoir de rechercher la pureté perdue de ses eaux, leur lumière de ciel, leur chant retenu dans ses montagnes. Près de la Catalogne, le Roussillon est pour nous comme ces puits de neige qu’on voit encore aux pieds de l’Albère où jadis l’on gardait au cœur de l’été, de quoi rappeler aux gens des plaines que toute pureté, que toute fraicheur n’est pas perdue. Là dans ce qu’il aimait le plus au monde, l’amitié simple et la paix, dans la luxuriance des jardins de Cerdagne, il avait trouvé le climat idéal de son génie, une patrie accordée aux plus secrètes exigences de son cœur. Là sa musique pouvait s’élever, comme montée de la terre, et faire de lui ce que ce trop grand modeste s’appliquait à être, une voix, une voix obscure parlant au nom de tout un peuple, la voix même et le chant d’un peuple ».

Max Rouquette. Discours prononcé lors de l’inauguration du monument à Déodat de Séverac au Jardin Royal de Toulouse le 7 décembre 1952

Sa « patrie » méditerranéenne, idéalisée et poétisée, est tout entière inscrite dans ses pièces pour piano (Le Chant de la Terre, En Languedoc, Cerdaña, Sous les lauriers roses, Baigneuses au Soleil), ses mélodies, ses opéras (Le Cœur du Moulin et la fameuse Héliogabale créée dans les arènes de Béziers).

« Saint-Félix de Lauragais et Céret sont en quelque sorte le pôle Nord et le pôle Sud de son œuvre : Séverac, natif du pays toulousain, est devenu le poète de la terre catalane, comme si les poètes et les musiciens du haut Languedoc, terre romaine, ne pouvaient être pleinement musiciens et poètes qu’en Roussillon, en Cerdagne, en Vallespir et sur la Côte Vermeille. Deux recueils pour piano, En Languedoc et Cerdaña, ce dernier ayant pour décor les Pyrénées orientales, résument en quelque sorte le double paysage fondamental de cette musique ; mais le Languedoc du premier, avec son « mas en fête » et son épigraphe tirée de Mistral, est lui-même un peu « provençalisé », tant est irrésistible chez Séverac le tropisme méditerranéen ».

Vladimir Jankélévitch. La Présence lointaine, Albéniz, Séverac, Mompou, Seuil, Paris 1983, p. 78

Séverac s’accomplit désormais pleinement en homme méditerranéen.

Son don à la cause occitane

Ses œuvres en langue d’Oc

« […]Déodat est le seul par qui, selon la juste expression de Camille Soula, l’Occitanie ait donné un nom à la musique. Certes ni à Chabrier, pour qui Déodat professe toujours la plus vive admiration, ni à Vincent d’Indy qui fut son maître, ni à Fauré qui lui rendit si pleinement justice, ni, dans une certaine mesure à Darius Milhaud, on ne saurait entièrement dénier toute occitanité. Mais tous s’ils ont pris leur naissance et leur nom en terre occitane, la quittèrent à tout jamais et Paris eut tôt fait de brouiller les voix profondes qui pouvaient être en eux ».

Max Rouquette op. cit.

Plus loin on comprend que la décentralisation musicale pour Gabriel Fauré n’est en fait que la simple reproduction à « x » exemplaires dans les grandes villes de province, du modèle parisien et de ses archétypes de perfection. Inutile d’insister sur l’abîme idéologique qui sépare Séverac et Fauré, bien que ceux-ci s’apprécient et se respectent vivement sur le plan artistique, on peut aussi constater combien l’argumentaire anti-régionaliste – retour vers le passé, affaiblissement de l’effort commun, la production artistique doit éviter la diversité d’influences sous peine de brouiller la lisibilité de l’image de la France à l’extérieur – ne s’est guère renouvelé en un siècle en France…

Flors d’Occitània

Sous le titre Flors d’Occitania qu’il avait choisi en référence au recueil de Prosper Estieu, Flors d’Occitania – Sonets en lenga d’Oc, Editeur J. Marqueste, Toulouse, 1906 ; Séverac souhaitait réunir trois mélodies écrites séparément de 1910 à 1913. Canson pel Cabalet, (La Chanson du petit cheval) sur un poème de Prosper Estieu, Albado (Aubade)sur un poème de Marguerite Navarre et Cant per Nadal (Chant de Noël) sur un poème de Peire Godolin (Goudouli pour les toulousains).

Il parait ici intéressant d’apporter quelques précisions sur l’histoire éditoriale de ces mélodies, tant elles témoignent de la difficulté d’être édité en langue d’Oc et en disent long sur la difficulté du combat engagé par Séverac.
Dans La première édition de Canson pel cabalet (copyright 1913 S. Chapelier, Philippo Editeur), le texte occitan de Prosper Estieu figure directement sous la musique et sous ce texte occitan se trouve une version française rimée d’Estieu lui-même, qui a fait l’objet d’un échange de courriers entre Séverac et Estieu et entre ce dernier et Chapelier (plusieurs lettres entre janvier et Mars 1913). L’édition en recueil (Rouart Lerolle copyright 1924) de l’ensemble des mélodies de Séverac reprend Canson pel cabalet en ignorant ce titre, sous le titre français de Chanson pour le petit cheval (copyright Philippo 1924) en sacrifiant le texte original occitan, en ne conservant que le seul texte français original sous la musique et en l’accompagnant en-dessous d’une traduction anglaise, c’est ainsi qu’il nous est parvenu dans l’édition Salabert disponible aujourd’hui. (copyright 1994, by Editions Salabert).

Chanson pour le petit cheval. Song of the little bay horse (mélodie nouvelle). Poème de Prosper Estieu. English version by Edward Agate – BnF, Gallica


Pour Albada et Cant per Nadal, il n’y a pas eu à ma connaissance de première édition piano-chant avec le texte occitan sous la musique, les partitions en ma possession font penser que les premières éditions piano-chant (sous copyright 1917 Rouart Lerolle), étaient en bilingue français et anglais, une feuille recto-verso au format de la partition, (sous copyright 1917 Rouart Lerolle), donnait le chant seul avec le texte occitan sous la musique et sa traduction française en dessous, elle devait être glissée ou mise à la suite dans le piano-chant français -anglais. Ces feuilles occitan-français ne figurent plus dans l’édition des mélodies éditées en 1924 sous copyright Rouart Lerolle et dans l’édition Salabert de 1994. Il est intéressant de noter que l’occitan a donc disparu des partitions dans l’édition complète des mélodies, parue en 1924 après la mort de Séverac (1921), aujourd’hui seule édition disponible, il est sûr que Séverac n’aurait pas toléré cette suppression.

Autres œuvres

Albada a l’estèla Aubade à l’étoile sur un poème de Paul Rey, l’autographe inédit est daté de IX 1898.
Sant Felix (1900) chœur pour trois voix d’homme a capella sur un poème occitan de Vincent Belloc, musicien de Revel. Manuscrit autographe inédit.
Nou cerquen poun en jounnesso…Ne cherchons point dans la jeunesse… Causou de toualo pouèmo de Godolin (chant seul) publié dans La belle chanson du Pays de France et des Pays d’Oc, n°20, directeur Marius Leger, Toulouse, 1913.
Dius Poderós … Dieu puissant… (1913) Cantique sur des paroles de Prosper Estieu – Repertòri dels Grilhs del Lauragués N°3, Edit. Colètge d’Occitania, Castelnòudari. Une harmonisation en a été réalisée par Joseph Canteloube en février 1941 pour la chorale Lo Castet de Garona de Muret dirigée par Marguerite Dechaumont.
Uèi subre de palha torrada… Aujourd’hui sur la paille gelée… Cantique de Nöel sur des paroles de Prosper Estieu – Repertòri dels Grilhs del Lauragués N°6, Edit. Colètge d’Occitania, Castelnòudari.
Muguéto (1911) musique de Scène pour le conte languedocien en trois actes de Marguerite Navarre aujourd’hui perdue.
A signaler encore pour mémoire :
Cant nobial – Uèi dins nostre glèiza polida… paraulas de Maria Baraillé, muzica de Déodat de Séverac, la musique est perdue, seules les paroles sont conservées.
Deux mélodies en langue d’Oc sur des paroles du Dr Vabre éditées en 1910 par J. Robert à Béziers, ces mélodies ne nous sont pas parvenues, leur publication est attestée par Blanche Selva dans sa biographie de Séverac.

Œuvres en catalan

Séverac après son installation à Céret a composé sur des textes catalans, ce qui parait tout à fait cohérent avec sa démarche.
Lo Cant del Vallespir – Cantem la terra catalana…, cantate pour solistes, chœur et orchestre, poème catalan de Jean Amade, donné aux fêtes catalanes de Céret les 2 et 3 juillet 1911.
La mort y la donzella – Despertáu-vos si dormiu…, chanson traditionnelle catalane harmonisée par Séverac. supplément de Ruscino, Perpignan, décembre 1918.

La valorisation de la culture traditionnelle

Pour Séverac, le peuple est dépositaire de l’identité culturelle d’un terroir, d’une région, il sait que si la langue d’Oc a pu traverser sept siècles sans être la langue d’un état, c’est grâce à ce peuple des campagnes et à ces petites gens qui ont continué à la parler quotidiennement, alors même que les élites en majorité l’abandonnaient pour le français, il se sent leur débiteur, il pense que sa position, sa notoriété peuvent lui permettre de contribuer à réparer l’injustice faite à ce peuple qu’il respecte, il rejette donc la dichotomie savant-traditionnel qui nie cette réalité, il valorise la culture traditionnelle et l’art populaire, en les voulant éléments fondateurs de la culture « savante », il célèbre la force émotionnelle de leur simplicité authentique :

« […] quant à moi, je le confesse, le Cant del Boier (Chant du bouvier, chant de labour, un des plus beaux du répertoire traditionnel occitan ndr.) chanté sans nulle science, en plein vent, et sous un ciel radieux, par une belle voix méridionale, m’a toujours ému bien davantage que les lieder fort « expressifs » que disent les chanteurs experts et raffinés de nos récitals parisiens ».

Extrait de Chansons du Languedoc et du Roussillon article publié dans Musica, n°111, décembre 1911, p.211

Il pousse son engagement jusqu’à oser introduire des instruments traditionnels catalans au sein de l’orchestre symphonique classique dans ses musiques de scène pour les tragédies, d’Émile Sicard Héliogabale, création triomphale le 21 août 1910 aux Arènes de Béziers et reprise parisienne en version de concert Salle Gaveau en février 1911, et d’Émile Verhaeren Hélène de Sparte donnée du 4 au 10 mai 1912 au Théâtre du Chatelet à Paris avec la célèbre danseuse Ida Rubinstein, dans des décors et costumes de Léon Bakst un des décorateurs attitrés des Ballets russes de Diaghilev.
Séverac dès qu’il entendit pour la première fois la « Cobla » catalane, ce petit orchestre qui accompagne traditionnellement la sardane, formé d’instruments spécifiques au pays catalan fut profondément saisi par la couleur sonore originale de cet ensemble et tout particulièrement par les possibilités expressives de deux de ses instruments de la famille des hautbois : le Tible appelé aussi Prima par analogie avec la voix aigue de femme la prima donna, au son brillant, puissant et très riche, et la Tenora instrument-roi de la cobla au son plus lié, moelleux plus rond et plus charnu. Ce sont eux qu’il utilisa dans certaines parties d’Héliogabale et Hélène de Sparte, les musiciens qui les jouèrent venaient de la cobla Cortie Mattes de Céret.

« Puis un soir de fête m’amenait à Arles-sur-Tech et, pour la première fois de ma vie, j’entendis une « cobla » catalane. Il y aura bientôt douze ans, mais l’impression m’en est restée comme si elle était d’hier. A partir de cette soirée le Vallespir devint le pays de mon rêve ! Ce rêve put enfin se réaliser, il y aura bientôt trois ans au moment où je composais Héliogabale. Cette œuvre, par sa destination, m’offrait l’occasion d’essayer l’emploi des instruments catalans au théâtre ».

Extrait de l’article Monsieur Déodat de Severac et la musique catalane paru dans la Revue catalane, Perpignan, 15 mai 1912, n°65 pp 129-130

« Un soir à Céret, derrière les tréteaux des musiciens, nous écoutions, Déodat et moi, la cobla des Peps de Figuères. A un moment donné, la prima commença une de ces phrases interminables qui naissent et renaissent d’elles-mêmes, qui coulent sans heurt et, par leur continuité vous pénètrent jusqu’aux moelles comme si l’on y enfonçait une vrille. A la fin de la phrase nous nous regardâmes pour nous exprimer notre admiration. Les yeux de Déodat étaient remplis de larmes et il était tremblant d’émotion. Lorsque la musique se fut tue, Déodat me serrant le bras nerveusement me dit : « Il faut absolument que je fasse quelque chose avec ce pays-ci, avec cette musique ; avec ses mœurs, ses coutumes, sa lumière. » Puis me tutoyant ce qu’il ne faisait jamais : « toi qui le sens comme moi, qui connais sa langue, fais-moi quelque chose où tout se trouve réuni… des chansons, des danses, des larmes, des dieux païens, le Christ – car il y a tout cela dans ce pays. Il faut faire cela…il faut faire cela ; nous le ferons ensemble ! »

Gustave Violet in Blanche Selva, Déodat de Séverac, p. 23, op. cit.

Personnalité emblématique

Dans les dernières années de sa vie, son engagement régionaliste et sa démarche artistique ont valu à Séverac la reconnaissance des milieux régionalistes occitan et catalan et un prestige évident des deux côtés des Pyrénées.

La Ligue « Oc » : Séverac géniteur d’Oc et du mouvement occitaniste.

Au début de l’année 1920, Camille Soula fonda avec quelques amis la Ligue Oc, ligue régionaliste de propagande artistique destinée à faire connaître la culture des pays d’Oc. Dans son Manifeste, « Oc » déclarait vouloir « Provoquer et multiplier l’Art occitan, faire connaître et aimer les artistes de notre pays, assurer la vie et le succès de leurs œuvres. » Les fondateurs, pour servir leur but, envisageaient la création de moyens d’éducation scolaire et de vulgarisation, le lancement d’éditions, des conférences, des concerts, des expositions et enfin le développement du tourisme. Ils choisirent comme co-présidents, Antonin Perbosc et Déodat de Séverac.

Camille Soula en 1914 – Royonx – Wikimedia Commons (licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0)

Le 2 février, Soula écrivait à Perbosc :

« Très cher Maître,

Nous ne voulons pas de président « actif » et nous voulons éviter l’écueil de l’honorariat qui ouvre la porte à tous. Pour calmer vos scrupules nous vous adjoignons Déodat, puisque aussi bien vous êtes nos deux gloires. Les présidents actifs seront les vice-présidents. Nous sommes une ligue de profanes qui veulent se dévouer à la propagande pour les artistes. C’est dans cet esprit que nous excluons tout artiste de nos cadres et que nous vous prenons pour président vous deux en esprit d’hommage. »

La Ligue Oc inaugura son activité le 10 mars 1920, au Théâtre des Variétés, par un récital d’œuvres de Séverac en sa présence, avec la participation du pianiste Ricardo Viñes, l’ami intime de Ravel et de Séverac et le créateur avec Blanche Selva des œuvres pour piano de ce dernier, récital qui connut un succès exceptionnel qui étonna notre musicien :

« Le succès de cette soirée m’a absolument épaté. Il y a quelque chose de changé dans le public toulousain… Autrefois en effet un concert de piano ou de mélodies n’aurait rassemblé qu’une centaine d’amateurs. Or il y avait aux Variétés 2500 personnes ! qui ont écouté en silence tous les numéros du programme et ont manifesté un véritable enthousiasme… Marc Lafargue qui y était, était joyeux, même plus que moi… Le succès triomphal de cette soirée va permettre à la « Société d’Oc »(sic) d’en organiser de nouvelles et on ne jouera que des œuvres de musiciens originaires du Midi (Languedoc, Provence, Gascogne). Bientôt il y aura un concert Castillon, puis un Bordes, un Fauré et un René [de Castéra] aussi. Le midi bouge et cette fois pour des choses intéressantes. »

Lettre de Séverac à Carlos de Castéra, Céret [s.d. ca 20 mars 1920] in Pierre Guillot La Musique et les lettres p. 426

La Ligue Oc avait pour organe l’hebdomadaire Le Travail, créé antérieurement à la ligue, en Octobre 1919, avec pour programme : « travailler au relèvement de Toulouse, qui doit être la grande capitale incontestée du Midi de la France. » Edité par Victor Marty et sa femme, la poétesse toulousaine Jeanne Marvig, il devint en février 1921, l’ « organe officiel de OC ligue de propagande littéraire et artistique » selon son sous-titre.

Les vice-présidents « actifs » de la Ligue Oc, Camille Soula et Ismaël Girard fonderont en 1923, la revue OC, puis l’Institut d’Etudes Occitanes en 1945, tous les deux se sont toujours déclarés disciples de Séverac, on peut donc légitimement accorder à ce dernier le statut de « géniteur » de la renaissance occitane, dont l’a privé en son temps, une mort précoce à seulement quarante huit ans.

Délégué du Roussillon

En Mai 1920, Séverac est choisi pour représenter le Roussillon aux Fêtes données à Barcelone en l’honneur du Maréchal Joffre un des héros de la Grande guerre, natif de Rivesaltes en Catalogne française. Séverac est le seul non catalan de naissance parmi ces délégués roussillonnais, son choix est donc particulièrement significatif de l’estime dans laquelle on le tenait et aussi du sentiment fraternel qui régnait entre catalans et occitans, célébré en son temps par Mistral et qui animait alors les milieux régionalistes des deux terroirs. L’accueil à Barcelone fut somptueux, Séverac fut invité à jouer l’Orgue du Palau de la Musica catalana et y improvisa brillamment, partout il fut fêté en grand musicien.

Legs et héritiers

Qu’est ce qu’a légué Déodat de Séverac au mouvement occitan du 20e siècle et à quels héritiers ?

Dans l’analyse qui suit, Il convient de distinguer deux périodes : la première qui suit immédiatement la mort du musicien avec les réactions et les hommages des proches sous le coup de l’émotion, période qui se prolongera de vingt à trente ans jusqu’aux années cinquante c’est à dire jusqu’à la disparition de la majorité des témoins directs de sa vie, une seconde qui coïncide plus ou moins avec le renouveau occitan de l’après 1968 et va jusqu’à nos jours, bénéficiant du recul nécessaire à une vision moins affective et donc plus objective elle permet de dégager de nouvelles approches et de nouveaux éclairages sur l’homme et son œuvre.

Hommages

La mort de Séverac le 24 mars, réunit dans une émotion extrême Roussillon et Languedoc ses deux patries, elle y fut ressentie comme une perte immense. Le samedi 26 mars veille de Pâques, les obsèques eurent lieu à dix heures du matin dans l’église de Céret, puis le corps fut transporté par train jusqu’à St Félix où il fut inhumé auprès de son père et de sa jeune sœur Marthe le mardi 29 mars. La foule fut considérable lors des deux cérémonies, famille et alliés, amis locaux et parisiens, musiciens, peintres, écrivains, « autorités» politiques et religieuses, sociétés musicales et surtout foule des anonymes, habitants des deux cités et de leur région voulant par leur présence, témoigner de l’attachement qu’ils portaient à « Monsieur » Déodat.

« Les obsèques que lui firent la ville de Céret où il est mort et Saint-Félix-de-Caraman, son pays natal, berceau de sa famille, témoignent de l’unanimité d’affection qu’éprouvaient pour lui nos terres méridionales. »

Joseph Canteloube notes sur l’œuvre de Déodat de Séverac in Le Feu op. cit.

Les principaux « recueils » d’hommages – numéros spéciaux de journaux, de revues, catalogues d’exposition – publiés au fil du temps et des célébrations, depuis la mort du musicien jusqu’à nos jours, reconstituent à travers le canevas de leurs voix croisées, un portrait fidèle et objectif de l’artiste et de sa pensée. Il faut citer :

Le Travail, Journal hebdomadaire Organe officiel de « OC », ligue régionaliste de propagande artistique. n° 78 du Dimanche 3 avril 1921, 5 pages sur 6, sont dédiées à Déodat de Séverac décédé le 24 mars.

Le Coq Catalan, n° 24 du samedi 11 juin 1921, titré « Les Catalans à Déodat de Séverac ». Le coq catalan avait été fondé par Albert Bausil ami intime de Séverac en 1917.

Le Feu, Organe du régionalisme méditerranéen – Fondateur Emile Sicard, Directeur, rédacteur en chef après la mort de ce dernier : Joseph d’Arbaud – Edit. Société de la revue Le Feu Aix en Provence ; n° 14 du 15 juillet 1921, 33 pp. numéro spécial dédié à Déodat de Séverac.

L’Art méridional « Beaux arts, littérature » Revue mensuelle n°22, juin 1937, pp. 3-6, Toulouse. Paru à l’occasion d’un Festival Déodat de Séverac organisé à Toulouse par la Société Charles Bordes. Hommage à Déodat de Severac, Revista musicala Occitana, numéro spécial, Editions de l’Institut d’Etudes Occitanes, Toulouse, 1952 ; plaquette de 20 pp. conçue par Camille Soula et Ismaël Girard.

Déodat et ses amis, Centenaire Déodat de Séverac, Exposition, Céret, Musée d’art moderne, Juillet – août – septembre 1972. Cahier-plaquette de l’exposition 34 pp., 3 e trimestre 1972, Céret.

Colloque de Moissac 1973, organisé par Félix-Marcel Castan et présidé par Vladimir Jankélévitch.

Les contemporains

Les premiers hommages publiés sont ceux d’intimes du musicien, écrivains et artistes souvent militants de l’occitanisme ou du catalanisme (Casals), on y trouve aussi ceux d’amis célèbres connus à Paris (Gide, Picasso), et même d’hommes politiques sensibles au prestige populaire de Séverac.

Cançons de la patria… De nòstre Deodat servaretz remembrança. Vòstre siaud e prigond secret d’encantament A florit dins son òbra amb tant d’alargança, 16 Qu’a tremudat son art merabelhosament En i fasquent grelhar la vida, lo mistèri D’un pòble, d’un passat, d’un terraire, d’un cèl : Tot ço nòstre es aqui, del bresil del ausèl Dusca al sosc qu’espelís suls clòts del cimentèri.

Chansons de la patrie… De nôtre Déodat vous conserverez le souvenir. Vôtre doux et profond secret d’enchantement A fleuri dans son œuvre avec tant de générosité, Qu’elle a changé son art merveilleusement En y faisant germer la vie, le mystère D’un peuple, d’un passé, d’un terroir, d’un ciel : Tout ce qui est nous, y est présent, du gazouillis de l’oiseau Jusqu’au songe qu’éveille les tombes du cimetière.

Antonin Perbosc texte devant figurer sur le monument à Déodat de Séverac au Jardin Royal de Toulouse, dit lors de la cérémonie à St Félix, reproduit dans Hommage à Déodat de Severac op. cit.

Portrait d’Antonin Perbosc accoudé à la bibliothèque chez Prosper Estieu – Collections de la Bibliothèque de Toulouse

« Le Régionalisme, – pour si pauvre que soit le mot, – reste, en fait une grande chose : la recherche de la Patrie. Déodat, de bonne heure, la reconnaissait. Il savait, comme nous, qu’elle est d’abord la terre première sur laquelle, enfants, nous avons essayé nos pas, qui porte notre pensée d’hommes, qui, entre ses horizons familiers, limite, organise et discipline les élans de tout notre cœur. Il savait qu’elle est un chant et une lumière. Il savait qu’elle est un soleil. »

Joseph d’Arbaud in Le Feu op. cit., pp. 210-211

« L’exemple d’un Frédéric Mistral est souverain, Déodat de Séverac est un Mistral de la musique. »[…] « C’est se refuser la plus pure et la plus libre des joies que de transplanter les sentiments de ses origines. Séverac n’a rien sacrifié de son noble égoïsme terrien. Son orgueil et sa foi ont eu raison de toutes les tentations immédiates. Il doit à cette fidélité d’avoir conservé une personnalité dans la ressemblance musicale des compositeurs de ce temps. »

Émile Sicard in Le Feu op. Cit., pp. 212-215

« Le maître de Céret, s’il a chanté presque exclusivement sa terre, s’est élevé à l’expression la plus générale; en puisant à toutes les sèves du terroir, il a su écarter tout ce que la qualification du mot local contient pour certains d’étroit et de trop restreint. »

Joseph Canteloube in Le Feu op.cit., p. 217

« Celui que nous avons perdu fut un grand artiste « méditerranéen » dont la disparition prive notre Midi d’une de nos plus belles forces d’expression et de vie. »

Pierre Médan in Le Feu op. cit., p. 222-223

« Le succès, les honneurs le laissèrent indifférent ; il resta un enraciné. Il le fut par tempérament, il le fut par conviction ». « Déodat de Séverac fut plus qu’une gloire locale, son nom, son œuvre resteront et honoreront à jamais son pays ; de cela nous devons être éternellement fiers ».

Henri Auriol, député de la Haute-Garonne in Le Feu op.cit., pp. 231-232

« Pauvre et cher Déodat ! il était si affectueusement simple et franc et sincère que tous ceux qui l’entouraient, dans la petite cité catalane qu’il avait élue, l’aimaient comme un ami d’enfance. Avec lui il avait apporté un reflet d’art sur cette vieille ville ; d’autres artistes l’y avaient suivi et Céret était devenu un centre attentif pour les intellectuels méridionaux ».

Pierre Rameil, député des Pyrénées orientales, in Le Feu op.cit., p. 239

« Tot el seu esforç creador, es per donar un aveu universal a la terra i als ambients que ell estimà. Com ho va fer Granados, i en poesia, Mistral i Verdaguer. Els catalans li estem doblement agraits per la comprensió, entusiasme i amor, que va despartar-li la nostra terra… » « Tout sa force créatrice, est de donner une voix universelle à la terre et aux atmosphères qu’il aime…, comme va le faire Granados, et en poésie Mistral et Verdaguer. Les Catalans, nous lui sommes doublement reconnaissants pour la compréhension l’enthousiasme et l’amour que notre terre lui a inspiré. »

Pau Casals, Prades, mars 1950 in Hommage à Déodat de Séverac op. cit.

« Je ne me consolerais pas que mon nom ne figurât pas parmi ceux des amis de Déodat de Séverac ».

André Gide, Juan les Pins, 9 mars 1950 in Hommage à Déodat de Séverac op. cit.

« Oui Déodat de Séverac est toujours un des meilleurs souvenirs de ma vie d’Art avec toute l’admiration que je lui garde. Je suis avec vous tous pour lui apporter notre hommage… »

Pablo Picasso, Paris, 23 avril 1951 in Hommage à Déodat de Séverac op. cit. et in Déodat et ses amis op. cit.

Les héritiers

Ce sont les acteurs majeurs de la renaissance occitane de la seconde moitié du 20e siècle, d’abord Camille Soula et Ismaël Girard les passeurs de la pensée de Séverac à la génération de l’après deuxième guerre mondiale, puis les René Nelli, Max Rouquette, Robert Lafont et Félix-Marcel Castan, carré magique de la culture occitane de la seconde moitié du 20 siècle, manque Bernard Manciet le gascon des Landes, immense poète, mais qui a toujours gardé ses distances avec le régionalisme, pour tous Séverac est un précurseur ouvrant la voie à leur propre réflexion, le symbole de la lutte identitaire occitane qu’ils mèneront à sa suite ; pour eux son œuvre porte un sens idéologique, leur hommage, à l’exception peut être de celui de René Nelli qui réagit d’abord en poète, n’est plus seulement personnel, il est porté au nom du peuple et des hommes d’Oc.

« L’âme d’une race chantait en lui. Sa vie se déroulait dans un univers sonore lié à la terre occitane et méditerranéenne. L’Occitanie aura donné, par Déodat de Séverac un nom à la musique. »

Camille Soula in Hommage à Déodat de Severac op. cit.

« L’œuvre de Déodat de Séverac, occitane par sa substance, avait pris pour nous un sens de renaissance. Elle l’a et l’aura toujours ».[…] « L’enseignement de Déodat est doublement significatif. Il ne fut pas seulement un grand compositeur, il fut un grand compositeur conscient d’être fils d’une terre à qui il devait beaucoup et dont il considérait la juste nécessité de mettre en valeur les richesses musicales. »

Ismaël Girard in Hommage à Déodat de Severac op. cit.

« A Déodat de Séverac As enclausit, Severac, sus un mòd tant esclet, las caròlas De las sasons desgrunant son clar escambi de filhas, Que l’Amor, en t’ausir, s’es cambiat en segura armonia E que la còla soritz coma una musa suprema. Joana e Lison serián pas que rebat o saunei de settembre -Mai s’entalhe, riseire, lor profil cande sul ser – Se dins l’eterna musica, ont la gràcia s’acaba en remembre, Lor plus segreta beutat culhissiá pas son espèr. »

« Tu as enclos, Séverac, en un mode si pur, les caroles des saisons égrenant leur clair échange de filles, 18 Que l’amour, à t’entendre, s’est changé en sûre harmonie : Et que la colline sourit comme une muse suprême. Jane et Lizon ne seraient que mirage ou rêve de septembre -Bien que rieur, leur profil pur s’inscrive sur le soir, – Si dans l’ éternelle musique, où la grâce finit en souvenir, Leur plus secrète beauté ne cueillait pas son espoir. »

René Nelli in Hommage à Déodat de Severac op.cit.

« Le cas de Séverac est différent. Il tient à la condition même du génie d’oc, à son aspect souterrain, à ce long cheminement obscur qui, au lieu de s’extérioriser dans la création individuelle, s’est enfermé et comme refoulé au plus obscur de la conscience collective. Séverac, lui est une tardive résurgence. Il n’a pas eu à s’inspirer du peuple, il est lui-même une des voix de ce peuple. Si le génie populaire avait enfin trouvé une voix individuelle […], c’est que le temps était venu où les hommes d’oc s’éveillaient à la conscience d’une culture autochtone. La grande voix de Maillane était passée dans le vent d’autan. Il y a, dans ce rapide retour de Déodat vers sa terre, dans cette joie explosive exprimée en tant de lettres dès qu’il retrouve les horizons de son pays, il y a dans cette tendresse émue et souriante, dans cette façon de respirer enfin, comme si en nul autre lieu il n’était possible de vivre, quelque chose de très sensible aux jeunes générations d’aujourd’hui. Nous y décelons une exigence de plus en plus commune à de jeunes hommes d’oc et qui représente le test le plus fidèle des tendances qui nous rassemblent. »

Max Rouquette in Hommage à Déodat de Severac op.cit.

« Per nosautres, òmes d’Oc consciènts, e mai que mai li joves, Deodat es l’artista qu’aguèt, bèu primier, l’intuicion d’un biais de vèire l’Art segon l’occitanisme.[…]Deodat prenguet suènh, a la començança de sa vida de nos donar lo sèns mai fons, lo sèns occitan de son òbra avenidoira. Sa tèsi de 1907 […] es un tèxt istoric en quau se podèm referir pèr afortir que i a un ponch de vista occitan en musica. […] Es magnific coma aquel òme, en un temps que lo folclorisme mai o mens farlabicat, rosegava la literatura nòstra, veguèt que lo folclòre es una leiçon de puresa,e d’universalitat. Faire passar à l’universau tot çò nòstre que l’atencionava foguèt sa plega e son succés. […]. Tota la vida vidanta dau pòble d’Oc es dins sa musica. Es d’aquò que lis òmes d’aici l’amavan. Li justificava. Pèr lo mond Deodat es un mèstre, un mèstre un pauc desoblidat. Pèr nosautres es un exèmple. »

« Pour nous, hommes d’Oc conscients, et surtout les jeunes, Déodat est l’artiste qui eut le premier, l’intuition d’une manière de vivre l’Art selon l’occitanisme. […]Déodat prit soin, au commencement de sa vie de nous donner le sens plus profond, le sens occitan de son œuvre future. Sa thèse de 1907 […] est un texte historique auquel nous pouvons nous référer pour affirmer qu’il y a un point de vue occitan en musique. […] C’est magnifique, en un temps où le folklorisme plus ou moins frelaté rongeait notre littérature, comment cet homme a vu que le folklore est une leçon de pureté et d’universalité. Faire passer à l’universel tout ce qui de nous l’intéressait, fut sa tâche et son succès. […].La vie toute entière du peuple d’Oc est dans sa musique. C’est pour cela que les hommes d’ici l’aimaient. Il les justifiait. Pour le monde Déodat est un maître, un maître un peu oublié. Pour nous autres il est un exemple. »

Robert Lafont, secrétaire général de l’Institut d’Études Occitanes, in Hommage à Déodat de Severac op.cit.

Robert Lafont à une manifestation sur le Larzac – Fausta Garavini – Wikimedia Commons (licence Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0)

« Tout dans la pensée, dans le comportement et sans doute aussi dans l’inspiration créatrice de Séverac a une valeur critique. L’imaginer comme un artiste de pur épanchement, exprimant une mollesse native serait une erreur. Les contenus qui chez d’autres signifieraient laisser-aller, abandon des horizons de l’époque, provincialisme en un mot et spontanéisme ou vaine imitation, se trouvent intégrés en réalité dans des contextes référentiels parfaitement généraux, où ils acquièrent résonance et originalité. Il n’est pas étonnant que Paris ait mal entendu et en fin de compte refoulé au rang des gloires marginales, donc mineures, une œuvre qui le contestait dans son être, et tombait dans ses engrenages comme un rocher, difficile à briser. Le génie de Séverac commence ici : il a le premier sans doute porté sur Paris, son fonctionnement, ses contraintes et son destin collectif un regard global. Il a compris et mis en évidence la structure du plus grand phénomène de la culture contemporaine, et son jugement dépasse le domaine purement musical. Qui hors lui, a su envisager Paris en tant que structure de production culturelle ? Qui en a décelé la loi ? Qui en a fait la critique non point du dehors et de manière pittoresque et anecdotique, mais du dedans ? ». « On comprendra la place qu’occupe Séverac dans l’élaboration historique d’une attitude et d’une méthode qu’on qualifiera d’occitanistes. Il saute aux yeux que la pensée de Séverac n’est pas de celles qui ignorent justement l’existence de Paris et s’enferment dans une activité inerte, close et marginale…Elle en prend sciemment le contrepied, au nom d’une culture vraiment antinomique, et il cite explicitement les Troubadours, Mistral, Cézanne, Fauré et globalement les « tendances naturelles des occitans ». Pour lui la décentralisation engage nécessairement dans une autre tradition culturelle ( il y convertit le jeune Camille Soula au cours de conversations célèbres et décisives dans le Jardin Royal de Toulouse ), elle est la prise en charge du destin culturel occitan… » « L’Occitanie prend son existence plus dans sa confrontation avec Paris que dans son être propre…De 1895 environ jusqu’à la veille de la Grande Guerre mûrit la fonction internationale de Paris, par convergence d’initiatives du dedans et du dehors…[…] Exactement à ce moment-là se constitue d’autre part la notion d’Occitanie et se définit chez ceux qui partent, et laissent Paris, une attitude dialectiquement liée à la fonction internationale de Paris, se situant à un niveau qui n’a rien de régionaliste. Voilà un type de rapport que Séverac nous engage à concevoir pour notre temps même. Ses idées constituent un éclairage et une méthode : il appartiendrait aux occitanistes, pour que ce centenaire n’ait pas été formel, d’y réfléchir et de comprendre en quoi son point de vue les aidera à sortir de l’empirisme, de la stérilité parfois, à se porter en tout état de cause sur le front du combat principal. »

Félix-Marcel Castan. Manifeste multiculturel (et anti-régionaliste), Cocagne éditions, 1984, La position critique de Déodat de Séverac 7-07-1973 p. 37-40.

La lecture de ces hommages appelle plusieurs commentaires. Leur quasi-totalité émane, Picasso et Gide exceptés, d’hommes engagés dans les mouvements régionalistes occitans et catalans, ils sont publiés par des journaux ou des institutions représentatifs de ses mouvements. Le milieu artistique parisien n’y est que peu présent, en effet outre les classiques nécrologies de la presse généraliste, peu d’articles y compris dans les revues musicales, surent ou voulurent aller plus loin, que l’évocation de souvenirs anecdotiques sur la vie et la personnalité chaleureuse de Séverac, ou qu’une analyse au premier degré de l’œuvre, en lui reconnaissant certes, une originalité d’écriture, mais en l’enfermant dans une esthétique naturiste et pire encore dans une dimension régionaliste, deux jugements minorants, quand on connait le prestige dont jouissent en France l’élitisme intellectuel et sa quintessence le microcosme culturel parisien… Pour Paris, et il ne faut pas s’en étonner, Séverac n’est en fait qu’un musicien parmi d’autres, dans une époque où la musique française abondait en talents exceptionnels, Debussy, Ravel, Fauré, Roussel, Dukas, pour ne citer que les plus connus et où la vie artistique parisienne à son apogée, attirait les plus brillants artistes du monde. De plus Séverac alors qu’il y était reconnu avait tourné clairement le dos à la capitale.

C’est donc bien dans un contexte culturel différent de Paris, que l’œuvre de Séverac prend sa vraie dimension. Ces hommages révèlent l’extraordinaire richesse et la qualité des réseaux intellectuels qui animaient la vie culturelle du Midi et en faisaient pour peu d’années encore, un contrepouvoir intellectuel identitaire face à l’hégémonisme parisien. L’intelligentsia méridionale d’alors, regardait encore vers le Sud et osait exprimer un mode de penser original. Ces réseaux se construisaient autour de villes–centres, Toulouse était une de ces villes et de personnalités emblématiques, Séverac, sa modestie devrait –elle en souffrir en était à l’évidence une. Ces réseaux irriguaient toute la société puisqu’on y trouvait aussi bien des artistes créateurs – écrivains, peintres, musiciens – que des médecins, des enseignants et même des hommes politiques… Les milieux intellectuels régionaux d’aujourd’hui en apparaissent d’autant plus impuissants à affirmer leur différence, enfermés qu’ils sont, dans leur conformisme au modèle unique parisien et plus largement international dont ils ne sont que les relais locaux, la thèse de Séverac n’en apparaît que plus actuelle !

C’est au miroir de la réalité culturelle contemporaine que la pensée de Séverac révèle le mieux sa modernité et acquiert légitimement droit de cité. Séverac ose affirmer par son exemple qu’il peut exister hors de Paris, posé en modèle exclusif et obligé, un espace culturel productif qui peut avoir la même exigence d’universalité. Malgré les politiques de Régionalisation de 1972 et 1982, l’emprise des centralismes parisien et étatique, notamment en matière culturelle, loin de se relâcher tout au long du 20e siècle, s’est même amplifiée, sous le couvert de bonnes intentions – maisons de la culture, culture pour tous, etc… – qui n’ont fait qu’exporter, en le décalquant, le modèle parisien au détriment du développement d’une originalité locale. Cependant le contexte de l’Europe qui se construit aujourd’hui, non sans difficultés, dans une dimension supranationale, autour de vastes régions naturelles définies à partir d’identités géographiques et culturelles, peut laisser espérer une évolution des mentalités et donner raison à Séverac. La culture occitane, présente en France mais aussi en Espagne et Italie (elle y est langue officielle), pourrait retrouver son rang légitime dans le contexte élargi d’une euro-région sud-européenne et méditerranéenne, place que Séverac lui destinait.

Ces hommages nous obligent aussi à repenser notre approche de l’œuvre de Séverac, d’une part, ce n’est pas dans un contexte français qu’elle livre son sens profond, elle n’y est en effet que marginale, c’est dans le contexte d’une patrie méridionale méditerranéenne qu’elle révèle toute sa richesse et son originalité, d’autre part, l’étude uniquement musicologique qui a jusqu’ici prévalu ne lui rend pas justice et limite sa portée réelle. Séverac n’est pas qu’un musicien, il est un intellectuel, un penseur-citoyen enraciné dans une identité géoculturelle, celle du pays d’Oc, dont le moyen d’action sur la société est la Musique. Plus que jamais avec Séverac, l’œuvre ne peut être dissociée de la démarche idéologique de son auteur, dont elle n’est en réalité que la manifestation, mais parce que celui-ci est intellectuellement trop fin et trop intègre, pour se prendre pour un guide ou un chef d’école, pouvoir qu’il s’est toujours refusé à accepter d’autrui, elle n’impose pas un mode de pensée, elle ne révèle tout son sens, qu’à ceux qui, par sympathie au sens premier du mot, partagent la même exigence éthique de vérité que son créateur. L’Art de Séverac est le résultat d’une pratique de vertus – humilité, liberté, respect, parage – puisées à la source de la grande civilisation d’Oc du 12e siècle, elle-même héritière de la philosophie grecque.

Actualité

Le festival Déodat de Séverac fondé en 1989 par Gilbert Blacque Bélair, petit fils du musicien, pour faire connaitre l’œuvre alors oubliée de son grand-père, s’est donné depuis 1994 mission de recentrer son activité non seulement sur la diffusion des œuvres du musicien, mais aussi sur une réappropriation de ses idées et de ses engagements artistiques qui comme nous l’avons vu, révèlent pleinement la modernité de l’homme et du musicien.

La civilisation occitane est devenue le thème identitaire du festival, culture d’aujourd’hui, elle y est source d’échanges avec les cultures du monde, et particulièrement avec ses cultures sœurs de l’espace méditerranéen, les liens de la fratrie occitano-catalane chère à Séverac ont été réactivés dans la nouvelle Eurorégion Pyrénées – Méditerranée, en 1997-1998, le projet européen Los Camins de Deodat mis en place par le festival a connu une centaine de représentations dans 32 villes de quatre pays, France, Espagne (Catalogne), Portugal et Italie. L’œuvre de Séverac est aussi porteuse d’échanges plus lointains avec le Japon et la Finlande. La Société Déodat de Séverac – Japon a organisé en 2008 une tournée de six concerts en hommage à Séverac au Japon à Tokyo, Kyoto, Sendai, Yatsugatake, à l’initiative de son directeur artistique le pianiste Izumi Tateno interprète passionné au disque de l’œuvre pour piano du compositeur.

De même en référence aux engagements de Séverac, la création musicale en langue occitane et les croisements entre musiques savante et traditionnelle sont au centre de la programmation du festival. Grâce à la pérennité de l’action du festival, l’Œuvre de Déodat de Séverac est désormais mieux connu, depuis dix ans plusieurs enregistrements discographiques 43 – œuvres pour piano, mélodies, musique symphonique – ont été réalisés et sont disponibles, les deux ouvrages de Pierre Guillot cités notes 2 et 9, ainsi que les biographies 44 de Jean Bernard Cahours d’Aspry et de Catherine Buser Picard permettent à qui le souhaiterait de se familiariser avec la personnalité et l’œuvre du musicien.

Les auteurs des ouvrages de référence ci-dessus, à l’exception peut être de Jean Bernard Cahours d’Aspry, soit parce qu’ils se sentaient peu concernés par les problématiques de la culture occitane et plus généralement du régionalisme, soit parce qu’ils les connaissaient mal du fait de leur origine non méridionale, ont peu abordé cet aspect pourtant majeur de la pensée de Séverac, c’est pourquoi il m’a semblé utile de proposer ces commentaires sur l’engagement occitan de Séverac afin de susciter réflexion et recherches nouvelles.

Jean-Jacques Cubaynes

Directeur du Festival Déodat de Séverac

NOTES

1 Lettre publiée dans Pierre Guillot, Déodat de Séverac : La musique et les lettres correspondance, rassemblée et annotée par Pierre Guillot, Pierre Mardaga Editeur, Liège, 2002, p.389

2 Lettre du 6 août 1902, St Félix Haute-Garonne. Reproduite dans : Pierre Guillot, Déodat de Séverac, La musique et les lettres op. cit., p.169

La Canso ou Canso de la crosada (en français La Chanson de la croisade) est un long poème épique en langue occitane écrit entre 1212 et 1219, qui conte sous forme d’une chanson de geste, les évènements de la croisade que le pape Innocent III lança en 1208 contre les hérétiques que l’on désignait sous le nom d’Albigeois et qui prospéraient dans le Midi de la France actuelle, particulièrement sur les terres du Comte de Toulouse. Cette croisade commencée en 1209 ravagea le pays d’Oc en épisodes successifs jusqu’à la chute de Montségur en 1244.

Thèse de fin d’études à la Schola Cantorum soutenue le 18 juin 1907 devant un jury présidé par Vincent d’Indy fondateur de la Schola, paraîtra dans le Courrier musical des 1er, 15 janvier et 1er Mars 1908, un tiré à part sera édité par l’Imprimerie nouvelle de Thouars (Deux-Sèvres) sans date.
Est publiée en intégralité dans Déodat de Séverac Ecrits sur la musique rassemblés et présentés par Pierre Guillot Liège, Pierre Mardaga Editeur, 1993 p.70-87

Complètement achevée en novembre 1904, la suite En Languedoc fut donnée en première audition intégrale par Ricardo Viñes le 25 mai 1905 à la Schola Cantorum. Ses cinq parties avaient fait l’objet de « premières » séparées aux concerts de La Libre Esthétique de Bruxelles, création le 19 mars 1903 par Ricardo Viñes sous le titre de Loin des villes de « Sur l’étang le soir » et de « Le Jour de la foire, au Mas », création le 1er mars 1904 toujours par Ricardo Viñes de « Coin de cimetière au printemps » et de « A cheval dans la prairie » et enfin création le 23 mars 1905, cette fois par Emile Bosquet de « Vers le Mas en fête », la première pièce de la suite.
Le poème Loin des villes est daté sur l’autographe de mars 1903, il figure dans son intégralité in Déodat de Séverac Ecrits sur la musique op. cit. p.64-65.

Sculpteur catalan, intime de Séverac, il prendra l’empreinte du visage et de la main droite du musicien sur son lit de mort.

Pianiste d’origine catalane, née à Brive-la-Gaillarde, Blanche Selva remporta un premier prix de piano à onze ans au Conservatoire supérieur de Paris. Dès 1901 elle enseigna le piano à la Schola Cantorum, tout en suivant la classe de composition de Vincent D’Indy, c’est là qu’elle se liera avec Séverac d’une amitié qui ne se démentira jamais même par delà la mort, puisqu’elle sera le premier biographe du musicien en 1930 (Déodat de Séverac, Les Grands musiciens par les Maîtres d’aujourd’hui n°2, Paris, Librairie Delagrave, 1930), ouvrage qui plus qu’une biographie, nous livre l’esprit et la personne intimes de Séverac. Après avoir quitté la Schola en 1921 elle enseignera à Strasbourg puis à Barcelone où elle épousera le violoniste Joan Massia. Elle mourra à St Amand –Tallende (Puy de Dôme).

Cousin de Déodat de Séverac, habite La Nauze près de Bram dans l’Aude. Esotériste chrétien, « cabaliste catholique », horloger à Castelnaudary pour vivre, collaborateur de la Revue Internationale des Sociétés Secrètes et de La France Anti-Maçonnique en 1911 et 1912.

Instituteur, il fut co-fondateur avec Antonin Perbosc de l’Escolo moundino en 1892, son œuvre en langue occitane est majeure par la force de son engagement en faveur de la renaissance de la culture occitane, il sera, toujours avec Perbosc, à l’origine de la normalisation de la graphie de la langue occitane, la co-fondation avec lui et un groupe de félibres languedociens en 1919 de l’Escolo occitana en sera l’étape déterminante.

A l’époque de sa rencontre avec Séverac, il était directeur de la revue Mont-Ségur (1894-1899). Quelques années plus tard il dirigea le Gai Saber (1919-1933). Il devint ensuite l’un des cofondateurs du Collège d’Occitanie et des Grilhs del Lauraguès (1924) dont la reine était Magali de Séverac, la fille unique de Déodat. Majoral du Félibrige en 1900, il était membre de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse.

Il faut citer ses recueils poétiques chantant la gloire de l’épopée occitane et son terroir lauragais : Lou Terradou (1895), Flors d’Occitania (1906), La Canson occitana (1908), Romancero occitan (1914), Lo flahut occitan (1926), Lo fablièr occitan (1930), Las oras cantairas (1931).

Pour plus de détails consulter le Dictionnaire des Auteurs de Langue d’Oc, de 1800 à nos jours, par Jean Fourié, Paris, Collection des Amis de langue d’Oc, 1994, p. 130-131.

Les Grilhs del Lauraguès publièrent deux cantiques de Prosper Estieu mis en musique par Séverac : Dius Poderos (N° 3) et Uèi subre de palha torrada (N° 6). Séverac a également composé La Canson pel cabalet sur un poème d’Estieu, cette mélodie en langue occitane est une de ses plus originales, construite sur un modèle rappelant dans l’esprit, les ballades germaniques de Loewe ou de Schubert (on peut y trouver une ressemblance avec le célèbre Erlkönig – le Roi des aulnes, même chevauchée et même fin tragique, la mort prenant la fiancée et non plus l’enfant), fin d’autant plus inattendue que lo cabalet, le petit cheval parait bien insouciant dans sa chevauchée paisible avant que le glas ne vienne l’arrêter.

A partir de 1682, une école est établie dans l’abbaye bénédictine Sainte-Marie -de-la-Sagne fondée en 754 au pied de la Montagne Noire. L’établissement bénéficie dès le XVIIe siècle d’une grande renommée due en particulier au mode d’enseignement novateur qu’elle propose. La qualité des enseignements est telle que Louis XVI l’érige en École royale militaire en 1776. Sous la direction du Révérend-Père Henri Lacordaire, les Dominicains reprennent l’école en 1854 et en font un établissement d’études secondaires.

Né le 8 septembre 1830 à Maillane entre Avignon et St Rémy de Provence, au Mas du Juge, il est le fils d’un paysan aisé. Il fait des études secondaires à Avignon où il acquiert une solide formation classique, il s’y passionne pour Virgile, Hésiode, Homère. Il passe son baccalauréat à Nimes puis va à Aix poursuivre des études de Droit. Très jeune, il écrit déjà en Provençal ce qui le fait remarquer par son jeune maître Joseph Roumanille, à Aix il fréquente les milieux provençalistes et fonde avec six amis dont Joseph Roumanille et Théodore Aubanel le 21 mai 1854 à Font Segugne le Félibrige avec pour mission : restaurer, défendre et promouvoir les langues du Midi de la France, soit en résumé sauver la langue d’Oc.

En 1859 parait éditée par Roumanille, la première édition de Mirèio, en provençal avec traduction française en regard par l’auteur, c’est Lamartine qui lancera le succès de l’ouvrage en lui consacrant le 40e de ses Entretiens en entier, de manière très louangeuse, « Tu es d’un autre ciel et d’une autre langue, mais tu as apporté avec ton climat, ta langue et ton ciel ! », succès qui ne se démentira plus jusqu’à nos jours.

Mistral publiera ensuite Calendal (1867), Lis isclo d’Or – les îles d’or ( 1876), Nerto (1886), Lou Tresor dóu Felibrige – le Trésor du félibrige (1886) monument lexicographique élevé à la langue d’Oc, La Rèino Jano – La Reine Jeanne ( 1890), Lou pouèmo dóu Rose-Le poème du Rhône (1897), Memòri e Raconte – Mémoires et récits (1906), Lis Oulivado – Les Olivades (1912) …

En 1904 Mistral reçoit le Prix Nobel de littérature pour son œuvre en langue d’Oc, honneur suprême, légitimation d’une démarche et reconnaissance de la langue d’Oc au sein des grandes langues universelles. Mistral meurt à Maillane le 25 mars 1914.

En 1854, Mistral et les poètes de langue d’oc créent le Félibrige et choisissent Sainte Estelle (Santa Estèla) pour patronne. Le poète provencal honora de sa présence à plusieurs reprises les fêtes de la Santa Estèla, notamment celle du dimanche 11 mai 1913 à laquelle Déodat assiste.

La Coupo santo, la Coupe sainte, est une coupe en argent que les félibres catalans offrirent aux félibres provençaux lors d’un banquet qui se tint à Avignon le 30 juillet 1867, en remerciement de l’accueil réservé au poète catalan Victor Balaguer, exilé politique en Provence. Le banquet de la Santa Estèla se termine par la Cansoun de la Coupo (la chanson de la Coupe) qui a été écrite par Frédéric Mistral pour commémorer cet événement sur la musique d’un chant de Noël attribué à Nicolas Saboly.

Le capoulier, ou capoulié est un grand maître du Félibrige

Lou Pouèmo dóu Ròse (Le Poème du Rhône en français) est un recueil de poésie du félibre Frédéric Mistral paru en 1897.

Poète, né dans une famille très modeste de Carcassonne, resta toute sa vie, fidèle à sa ville natale où il fut fonctionnaire municipal, il terminera sa carrière en tant que Secrétaire Général de la ville, Il y fut un des promoteurs du Théâtre de la Cité. Il connut Déodat de Séverac chez Alexis Rouart son éditeur.

Trop oublié de nos jours, il a pourtant été aimé et admiré par des célébrités du monde littéraire et poétique comme André Gide, dont il était un intime et Paul Valéry. Il publia de nombreux recueils de poèmes, son attirance pour le classicisme gréco-latin lui fit préférer la composition d’odes ou d’élégies en vers amples et nombreux : L’Arbre qui saigne, Le Buisson ardent, la Complainte du cyprès blessé, Odes, Eglogues, Le Cantique sur la colline, La Guirlande lyrique, le Chemin sous la mer, La Prairie aux narcisses, Le Tombeau de Ronsard

Dans son livre Dissonances il rendait hommage aux compositeurs qu’il aimait le plus, et parmi eux ceux qu’il chantait le mieux : Charles Bordes et Déodat de Séverac à qui il rendit plusieurs fois hommage par des auditions de ses œuvres et par une conférence à Perpignan.

Après la mort de Séverac il lui dédia des Stances qui parurent dans son ouvrage Le Tombeau de Ronsard. Avec René Nelli et Joe Bousquet, il forma entre 1920 et 1953 dans sa ville natale, des cercles restreints autour du symbolisme roman puis du surréalisme méditerranéen.

Il dirigea avec son frère René (1873–1955) qui fut le condisciple de Séverac à la Schola, l’Edition mutuelle qui édita les premières œuvres de Séverac, tous deux furent des amis et confidents intimes du musicien, Blanche Selva appelait leur trio « La taupe (Séverac ) et les petits grillons », ils lui rendirent sans jamais se lasser de multiples services, Séverac reconnaissant aimait à dire et à écrire : « Si le dévouement n’existait pas, les Castéra l’auraient inventé ».

Pour en savoir plus consulter : Anne de Beaupuy, Claude Gay et Damien Top, René de Castéra : un compositeur landais au cœur de la Musique française, Editions Séguier, Paris, 2004.

Ami intime de Déodat de Séverac, né et mort à Toulouse, un de nos grands poètes toulousains. Il publia un premier recueil de poésie Le Jardin d’où l’on voit la vie, verlainien et symboliste, tandis que L’Age d’or, La Belle journée, Les Plaisirs et les Regrets ses autres recueils furent plutôt d’esthétique classique. Il publia de nombreux articles dans Les Marges, La Revue universelle, La Muse française, il fut l’animateur de revues et de cénacles où il accueillait les jeunes poètes. Il était très attaché à Toulouse et fut un défenseur acharné du patrimoine architectural toulousain : «Ce que j’ai de meilleur, pays je te le dois» déclarait-il. Peintre de talent lui-même, critique et amateur d’art, féru de sculpture, ami intime d’Aristide Maillol, il écrivit un excellent ouvrage sur Corot. Marc Lafargue recevait tous ses amis dans une belle demeure 1830 à St Simon. Ancien élève de l’Ecole des Chartes, il était à sa mort bibliothécaire à Toulouse.

Ami intime de Séverac, écrivain et poète toulousain extrêmement prolixe. Après des débuts de poète avec La Chanson des hommes (1898), salués par Maurice Barrès, Apollinaire et André Gide, il est consacré romancier grâce à La luxure de Grenade (1926), Le mystère du tigre (1927), Le sang de Toulouse (1931) ou Le trésor des albigeois (1938). Pendant un séjour aux Indes, il découvre le Bouddhisme et l’opium, et écrira jusqu’à la fin de sa vie de nombreux essais philosophiques ou à connotation ésotérique. En 1937 il obtient le Grand Prix de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre. Magre écrira aussi, de nombreuses pièces pour le théâtre ainsi qu’un livre sur le comédien De Max, et dans un tout autre genre des ouvrages autour de l’érotisme : Confessions sur les femmes, l’Opium, l’Amour, l’Idéal, etc… et Vie des courtisanes.

Séverac écrira son opéra Le cœur du Moulin sur une pièce de Magre intitulée Le retour (1896), une de ses mélodies La Chanson de Blaisine était destinée à une autre de ses pièces, en 1 acte, L’ouvrier qui pleure (1900). Magre poursuivra en même temps que sa carrière littéraire, une carrière de fonctionnaire notamment au ministère de l’Intérieur. Sur Magre lire Roger Aribaut, Maurice Magre, un méridional universel,Toulouse, Midia, 1987, 121p.

oseph Boyer, médecin à Toulouse, membre des Chanteurs de Saint-Gervais et grand ami de Charles Bordes à qui il présenta Séverac au cours de l’été 1896, dirigea la manécanterie de l’Orphelinat de la Grande allée à Toulouse. Il sera en 1922, rédacteur en chef de la Revista musicala occitana, organe de la Chorale Déodat de Séverac. Son fils Ernest était à Paris pour préparer sa médecine lorsque Séverac entra à la Schola Cantorum, ils logèrent ensemble avec ce dernier et le sculpteur Lamasson. De retour à Toulouse, il y sera correspondant du Télégramme, tout en dirigeant sa clinique rue Pharaon. Il restera en contact avec Séverac, s’occupant de ses affaires musicales et lui servant de boîte à lettres toulousaine lorsque celui-ci sera installé à Céret. Il l’assistera à la fin de sa maladie et durant son agonie, dont il fera un récit émouvant dans un article La maladie et la mort de Déodat de Séverac, Le Feu n° spécial d’hommage à Déodat de Severac, en date du 15 VII 1921. Il écrira encore un vibrant Éloge de Déodat, Association sorézienne, 1925.

Sculpteur et médailleur, élève de l’École des Beaux Arts de Toulouse, puis de l’École des Beaux Arts de Paris (1892) il y est l’élève d’Alexandre Falguière et d’Antonin Mercié, il obtiendra le Second Prix de Rome de gravure en médaille en 1902. Pendant ses études dans la capitale, Lamasson logera un temps avec Séverac et Boyer, 5 rue Michelet (5e arr.). Lamasson est l’auteur du buste de Déodat de Séverac qui décore le monument du compositeur à Saint-Félix-Lauragais et dont un autre exemplaire figure dans la Salle des Illustres de l’Ecole de Sorèze.

Poète occitan, membre de l’Escolo moundino et collaborateur de la Terro d’Oc, il publiera des recueils de poèmes en français et en langue occitane, Tryptique hymnaire, Hymne à Paris, A Toulouse et à Barcelone (1903), Ninarels (1904), Le Syrignon (1905), Poèmes d’Occitanie (1906), La Rezurgada, damb vinte – nou melodias de l’auteur (1908), La Restitution (1912).

Séverac écrira plusieurs mélodies en 1897-1898, sur des poèmes de Rey, Albada a l’estèla, les Huns, le Chevrier, les Cors, il écrira également des accompagnements pour des mélodies originales (chant seul) composées par Rey sur des paroles de Paul Redonnel.

Chevalier du Carcassès, il fut l’un des plus grands troubadours. Ami du Comte de Toulouse, il vécut au tournant de la reconquête française de la Croisade des albigeois et fut un des seigneurs du château de Miraval en Cabardès. Il fut le théoricien du « Fin’ Amor », on a conservé 34 chansons de lui, dans sa dernière chanson, écrite vers 1213, alors que Simon de Montfort lui avait pris son château, il chantait l’espoir que le roi Pierre d’Aragon viendrait le libérer. La bataille de Muret le 10 septembre 1213 où périt le roi, devait mettre un terme à ses espoirs et il dut s’exiler à Lérida où il mourut.

Thèse de fin d’études à la Schola Cantorum soutenue le 18 juin 1907 devant un jury présidé par Vincent d’Indy fondateur de la Schola, paraîtra dans le Courrier musical des 1er, 15 janvier et 1er Mars 1908, un tiré à part sera édité par l’Imprimerie nouvelle de Thouars (Deux-Sèvres) sans date.
Est publiée en intégralité dans Déodat de Séverac Ecrits sur la musique rassemblés et présentés par Pierre Guillot Liège, Pierre Mardaga Editeur, 1993 p.70-87

Peintre et sculpteur catalan, né à Barcelone le 30 avril 1872, Manolo était le fils naturel d’un officier de carrière castillan et d’une mère barcelonaise, Anna Hugué. Manolo était le grand ami de Picasso, ils s’étaient connus à Barcelone en 1898, au fameux cabaret du vieux Barcelone « Els Quatre gats ». Manolo était son aîné de dix ans et le seul dont Picasso acceptait les critiques, les taquineries et les contradictions.
En 1902, par l’intermédiaire du poète Léon-Paul Fargue, Séverac fera la connaissance de Manolo. La rencontre a lieu entre deux ou trois heures du matin au Rat qui n’est pas mort, un café de Montmartre, place Blanche,« Comme Fargue lui avait parlé de moi et à moi de Déodat, ça a été tout de suite une grosse amitié, car par l’intermédiaire de Fargue, la sympathie existait déjà » dira Manolo. Séverac et Manolo se retrouvaient dans les bars du Quartier latin : le Vachette, boulevard Saint-Michel, où Moréas avait ses assises, La Closerie des Lilas, au cours des soirées de « Vers et Prose », près de Paul Fort et d’André Salmon, au Café de Versailles, rue de Rennes, près de la Gare Montparnasse, au Lapin Agile, à Montmartre.
Quand Picasso s’installera définitivement à Paris en 1904, Manolo le présentera à Séverac et là encore une amitié profonde se nouera. Manolo quittera Paris en juillet 1909, en compagnie de Frank Burty-Haviland, ils s’arrêteront d’abord trois mois à Bourg-Madame, ils ne se fixeront définitivement à Céret qu’en janvier 1910, Séverac les rejoindra en février, 26 une fois la création et les représentations de son Cœur du moulin terminées à l’Opéra-Comique à Paris. Tous les trois vont vivre à Céret en une sorte de phalanstère autour du travail et de l’amitié, ils inciteront leur grand ami Picasso à les rejoindre, celui-ci viendra passer avec eux l’été 1911, puis les mois de mai et juin 1912 et le printemps et une partie de l’été 1913. Braque, Juan Gris et de nombreux amis de la « Bande à Picasso » Max Jacob, André Salmon les peintres catalans Sunyer, Pichot, Casanovas, viendront leur rendre visite. Céret deviendra la « Mecque du cubisme » selon l’expression du poète André Salmon. A la mort de Séverac, Manolo sera chargé d’orner d’une sculpture le monument élevé à la mémoire de Séverac à Céret, il choisira de ne pas faire un buste mais une « Belle catalane » symbolisant dans sa simplicité classique l’inspiration méditerranéenne et terrienne du compositeur, figuré seulement en médaillon sur la stèle. Le monument fut inauguré le dimanche 27 avril 1924.

Peintre, fils des porcelainiers de Limoges, il était également le petit-fils de Philippe Burty, ami de Delacroix et protecteur des impressionnistes. Très jeune, il était passionné de peinture et de littérature. C’est le célèbre pianiste Ricardo Viñes, intime s’il en est de Séverac presqu’un frère pour lui, qui le présentera en 1904 à ce dernier qui devient son ami et confident et l’encourage dans sa vocation d’artiste peintre. A dix-huit ans, lorsque Frank sera sorti de l’école, Séverac l’incitera même à prendre des cours de peinture et comme Haviland admirait Picasso, il l’introduira au sein de la « Bande à Picasso » qu’il fréquentait lui-même souvent et qui vivait au Bateau Lavoir à Montmartre Place Ravignan. Fernande Olivier, la compagne de Picasso à cette époque dit de Haviland dans son livre de souvenirs, Picasso et ses amis, Paris, Stock, 1933: « Il devint son adepte, son élève le plus passionné ». Mais Haviland, bien que tenté par la modernité de Picasso s’aperçut très vite que là n’était pas sa voie. En 1906 il était encore dans la lignée des impressionnistes et évoluera vers une peinture presque naïve, par la représentation minutieuse du détail. Collectionneur d’art nègre, il permit à Picasso de trouver chez lui des spécimens précieux pour ses recherches.
Par la suite, souffrant de phtisie il cherchera un climat plus propice au soleil, c’est ainsi qu’il s’installera à Céret en compagnie de Manolo, espérant qu’au sein de la nature méditerranéenne il retrouverait les forces et la santé qu’il avait perdues en ville, en outre il se rapprochait de lieux de cure réputés pour sa santé. L’exemple de Séverac qui était lui-même retourné en 1907 ses études terminées, dans le Sud à St Félix ne fit qu’appuyer sa décision, « La personne qui m’incita le plus à venir dans le Midi de la France fut Déodat de Séverac. A Paris, il me parlait toujours de la même chose, et me montrait la nécessité de partir. J’étais probablement plus convaincu que lui de cette nécessité. Il faut chercher, disait-il, un coin agréable des Pyrénées, proche de la frontière d’Espagne. ».
Haviland se mariera à Céret en 1914 avec une fille du pays et y restera jusqu’à sa mort en 1971. Séverac lui dédiera Les Muletiers devant le Christ de Llivia la pièce la plus connue de sa suite Cerdaña.

Poète catalan né et mort à Céret, fils d’Adrien Amade, chef cantonnier de la ville et directeur des Chanteurs Catalans de Céret depuis 1905. Après des études secondaires au collège de Perpignan, Jean Amade monte à Paris poursuivre ses études au Lycée Henri IV puis à la Sorbonne, de 1896 à 1901, il y fut agrégé d’espagnol en 1904 et enseigna ensuite au Lycée de Montauban puis à celui de Montpellier (1905-1919), revenant toutefois passer ses vacances à Céret.
Il est l’auteur d’une œuvre poétique substantielle mais surtout d’essais critiques et d’un manifeste régionaliste, il fut l’un des fondateurs de la Société d’Études Catalanes. Jean Amade est le père de Louis Amade né en 1915, qui sera un parolier célèbre dans le monde de la chanson, il collaborera notamment avec Gilbert Bécaud, titre le plus connu de cette collaboration L’important c’est la rose.
Séverac écrira Lo Cant del Vallespir cantate pour solistes, chœur et orchestre sur un poème de Jean Amade.

Écrivain français de langue occitane, Il a joué un rôle incontestable dans le maintien et la sauvegarde de la culture d’oc et de la littérature occitane au XXe siècle. Il est l’auteur d’une œuvre foisonnante (prose, poésie, théâtre) à la dimension universelle. Écrite en occitan, cette œuvre a dû attendre les premières traductions avant d’être reconnue en France et dans de nombreux pays. L’œuvre en prose, outre plusieurs romans, est constituée d’abord de son œuvre maîtresse : les sept volumes publiés en occitan et en français de 1961 à 2000 sous le titre général de Verd Paradís. De son œuvre théâtrale, il faut retenir Lo glossari – Le glossaire joué à la Comédie Française, et sa Medelha – Médée 1989. Son œuvre poétique entraine dans un univers de mots et de figures symboliques, premier recueil Los Sòmnis dau matin – Les songes du matin, 1937, Sòmnis de la nuòch – Les songes de la nuit, 1942, Lo maucòr de l’unicòrn – Le Tourment de la licorne 1988, Bestiari – Bestiaires 1993, Poèmas de Pròsa – Poèmes en prose, ses derniers poèmes écrits entre 2000 et 2005. « Max Rouquette est né en 1908 à Argelliers, près de Montpellier, dans un paysage inoubliable et jamais oublié de bois de chênes verts sombres, de garrigues colorées, de vignes tendrement odorantes et de figuiers bibliques. Ce paysage est la clé de son écriture. Parce que c’est en ce lieu, et en ce lieu seulement, que s’est effectuée la fusion des mots et du monde ». « Tous les textes de Max Rouquette résonnent de cette origine féconde. Ils en tirent probablement leur sève unique, et cette faculté d’éblouissement, tissée de beautés et d’angoisses, qui nous les rend communicables et si précieux. » Philippe Gardy

Né à Bourges, Vladimir Jankélévitch est le fils du Dr. Samuel Jankélévitch, qui fut le premier à traduire l’Introduction à la psychanalyse ainsi qu’une dizaine d’autres ouvrages de Freud, avec lequel il entretenait une correspondance. Sa famille s’installant à Paris, il étudie au Lycée Montaigne, puis à Louis le Grand. Il entre en 1922 à l’École Normale Supérieure et obtient l’agrégation en 1926. Il est présenté à Bergson dont il devient un familier. Il écrit Bergson publié en 1931 et préfacé par Bergson lui-même, fait plutôt rare. Il enseigne successivement à Prague, puis de retour en France, à Caen, à Lyon et dans les facultés de Besançon, Toulouse et Lille. Mobilisé en 1939, blessé en 1940, il est révoqué par le régime de Vichy, parce que d’origine juive. Il se réfugie à Toulouse avec sa famille, menant de front la Résistance ainsi que des activités philosophiques, enseignant dans les cafés.

« La guerre a coupé ma vie en deux. Il ne me reste rien de mon existence d’avant 1940, pas un livre, pas une photo, pas une lettre », « J’ai répudié à peu près toute la culture allemande, j’ai oublié la langue allemande. Je sais bien que c’est le côté passionnel de mon existence. Mais quelque chose d’innommable s’est passé, qui m’a concerné dans mes racines. C’est un hasard si je n’ai pas été anéanti ».

Sa volonté de ne pas renouer avec l’Allemagne lui vaut une progressive exclusion du monde littéraire. Titulaire de la chaire de philosophie morale à la Sorbonne de 1951 à 1978, la maladie l’emporte en 1985, à l’âge de 82 ans.
Citons ses principaux ouvrages philosophiques : L’Ironie (1936), Le Mal (1947), Le Traité des Vertus (1949), qui demeure son ouvrage de référence, Philosophie première: introduction à une philosophie du presque (1954), Le Je-ne-sais-quoi et Le Presque-rien (1957 et 1980), Le Pur et l’Impur (1960), La Mort (1966).
En dehors de la philosophie, Jankélévitch a consacré une part importante de son temps et de son activité à la musique en tant que musicologue et musicien. Ses ouvrages musicologiques concernent les œuvres de Gabriel Fauré, Claude Debussy, Maurice Ravel et fait qui nous intéresse plus particulièrement de Déodat de Séverac auquel il consacra une part importante de son essai La présence lointaine Albeniz, Séverac, Mompou. Le Seuil, Paris, 1983, p77-144.
Pendant la seconde guerre mondiale alors qu’il était réfugié en région toulousaine, Vladimir Jankélévitch a été accueilli et a vécu à St Félix Lauragais dans la maison natale de Séverac. En juillet 1973 il présida le Colloque Déodat de Séverac organisé à Moissac pour le centenaire de la naissance du musicien.

Félibresse née à Toulouse, ses œuvres ont été maintes fois primées lors des Jeux floraux de l’Escolo Moundino dont elle fut membre et dont elle a présidé des « Cours d’Amour ».
Elle a publié dans l’Armanac de Lengadoc e de Gasconha ainsi que dans La Terra d’Oc.

En 1911, de grandes fêtes félibréennes furent organisées à Rabastens ( Tarn) lors de l’inauguration du monument à Augé Gailhard (1540 ?– 1595 ) surnommé Lou roudié (charron) de Rabastens, poète languedocien du 16ème siècle né à Rabastens. A cette occasion fut créé le dimanche 13 août Muguéto conte languedocien lyrique et dramatique de Marguerite Navarre pour lequel Séverac écrivit une musique de scène (intermède et chœurs), aujourd’hui perdue. La pièce seule avait été primée aux Jeux floraux de l’Escolo moundino en 1906 et avait reçu un bel éloge de Mistral : « Félicitations pour Muguéto pure de sentiments et de langue. ».

Séverac écrivit également la mélodie Albado – Aubade sur un poème de Marguerite Navarre.

Le plus grand poète toulousain à l’époque où Toulouse, « seconde ville du premier royaume d’Europe » est capitale des Etats du Languedoc.

Fils d’un Maître-chirurgien, d’origine gasconne, il fait ses études au Collège des Jésuites puis à l’Université de Droit. Mais c’est poète qu’il veut être et qu’il sera, il fait partie du courant poétique libertin des années 1600, mais le cénacle poétique toulousain est alors uniquement tourné vers la langue française alors que Godolin ne rêve que langue d’Oc. Les protections du gouverneur du Languedoc Henri de Montmorency et d’Adrien de Monluc vont enfin lui permettre de s’exprimer dans sa langue de prédilection, en 1617 il publie Le Ramelet moundi, où éclate sans frein toute sa fantaisie que seules la liberté et la richesse de ton et de mots de la langue d’Oc lui permettent de traduire. Godolin devient d’un coup la voix toulousaine tant des grands seigneurs que du petit peuple, 1621 voit l’édition d’une Segoundo Floureta du Ramelet.

Mais le pouvoir central de Richelieu tolère mal cet excès de liberté intellectuelle et matérielle que prend le Languedoc sur la voie de la sécession, une reprise en main est décidée et accomplie avec pour point d’orgue la décapitation « pour l’exemple » à Toulouse du Duc de Montmorency dans la cour du Capitole pour crime de lèse majesté le 30 octobre 1632. Désormais il sera plus difficile d’assurer sa fidélité à l’esprit et au comportement libre face au pouvoir étatique centralisateur. Cependant deux nouvelles éditions des Obros de Peire Godolin avec l’addition d’une Tresiemo floureto ont lieu respectivement en 1637 et 1638 et Uno floureto noubelo voit enfin le jour en 1647.
Godolin meurt dans la misère en 1649. Il devient aussitôt un mythe, pour rappeler auprès de Paris une identité qui légitime une autonomie, il devient au fil du temps le pont entre les troubadours et Mistral et la renaissance occitane du XIXe siècle. Marcela Delpastre la grande poétesse du Limousin dira qu’il nous a donné la « gloire d’être nous-mêmes. »

Originaire de Bagnac (Lot), ami proche de Déodat de Séverac, qui inspira sa démarche musicale, il s’est intéressé comme lui aux musiques traditionnelles qu’il collecta dans un ouvrage de référence Anthologie des Chants populaires français en 4 volumes, Paris, Durand, 1951. Son nom reste toujours attaché aux harmonisations subtiles dont il a habillé ses Chants d’Auvergne qui restent une pièce majeure du répertoire de musique vocale avec orchestre. On lui doit à l’exemple de Séverac un cycle de mélodies en langue occitane intitulé, L’Arada sur des poèmes du grand poète occitan Antonin Perbosc (1861–1944), ami de Séverac et coprésident avec lui de la Ligue Oc fondée en 1920 par Camille Soula et Ismaël Girard. En 1929 Joseph Canteloube rendit hommage à Séverac en lui dédiant une suite pour orchestre Les Lauriers dont la seconde des trois pièces intitulée A la mémoire d’un ami évoque directement Séverac. En 1931, à son initiative fut crée la Société des Amis de Déodat de Séverac. Joseph Canteloube mit en ordre la bibliothèque musicale de Séverac et séjourna longuement pendant la seconde guerre mondiale dans la maison familiale des Séverac à St Félix Lauragais, il écrivit enfin une biographie de Séverac qui fut éditée en 1984 à Béziers : Joseph Canteloube Déodat de Séverac, Société de musicologie, Béziers, 1984

Poète, auteur dramatique et journaliste, il dirigeait la revue Le Feu, organe du régionalisme méridional, qu’il avait lui-même fondée à Marseille le 8 avril 1905.

Séverac et Sicard collaborèrent sur deux ouvrages pour le théâtre, Séverac composant les musiques de scène de deux pièces écrites par Sicard, Héliogabale créée aux Arènes de Béziers le 21 août 1910 devant 15000 spectateurs et La fille de la Terre représentée le 22 août 1913 au Théâtre de plein air de Coursan dans l’Aude devant plus de 8000 personnes, cet ouvrage relevait d’une esthétique très en vogue à l’époque qui recherchait comme L’Arlésienne de Daudet, La Fille de Jorio de d’Annunzio, Lou pan dou pecat (Le Pain du péché) d’Aubanel, la part du légendaire ou de l’héroïque de la vie rustique.

Émile Sicard mourut à 40 ans en février 1921, depuis quelques années, il avait perdu peu à peu la vue, sa mort affecta beaucoup Séverac, lui-même très atteint par la maladie qui allait l’emporter moins de deux mois plus tard.

« Émile Sicard, Déodat de Séverac, c’étaient deux âmes jumelles, deux âmes qui se complétaient pour exprimer notre sol avec le lyrisme des mots et l’éloquence des sons. »

Charles Bauby directeur de la revue catalane La tramontane.

Né à St Amand près d’Anvers, il est un des plus grands poètes de langue française.

En 1883, il publia son premier recueil de poèmes réalistes-naturalistes, Les 29 Flamandes, consacré à son pays natal, accueilli avec enthousiasme par l’avant-garde, l’ouvrage fit scandale en Flandres, il continua à publier des poèmes symbolistes au ton sombre et pessimiste, Les Moines 1886, Les Soirs 1887, Les Débâcles 1888 et Les Flambeaux noirs 1891.

En 1891 il se marie et publie trois recueils de poèmes d’amour dédiés à son épouse Les Heures claires 1896, Les Heures d’après-midi 1905, Les Heures du soir 1911.

Dans les années 1890, Verhaeren s’intéresse aux questions sociales et aux théories socialistes et travaille à rendre dans ses poèmes l’atmosphère de la grande ville et son opposé, la vie à la campagne, Il exprime ses visions d’un temps nouveau avec lyrisme dans des recueils comme Les campagnes hallucinées 1893, Les villages illusoires 1895, Les villes tentaculaires 1895, Les forces tumultueuses 1902, La multiple splendeur 1906, Les rythmes souverains 1910, il y découvre les promesses d’un avenir meilleur et il exprime sa foi en l’Homme. Il connait alors une notoriété internationale.

Il fut le chantre de son pays dans Toute la Flandre œuvre en cinq volumes publiés de 1904 à 1911. Au début de la Grande Guerre alors que la Belgique neutre est envahie par les allemands Il écrira des poèmes pacifistes et luttera contre la folie de la guerre dans les anthologies lyriques : La Belgique sanglante, Parmi les Cendres et Les Ailes rouges de la Guerre. Il écrit également pour le théâtre : Le cloître, Philippe II, Hélène de Sparte

Il meurt accidentellement écrasé par un train à Rouen en 1916. Séverac écrivit une musique de scène pour la pièce Hélène de Sparte lors de la création à Paris en 1912, auparavant il avait composé en 1899 la mélodie L’éveil de Pâques sur un poème extrait du recueil Les vignes de ma muraille.

Fils d’un musicien ariégeois, il vint « faire sa médecine » à Toulouse où il devait, plus tard et des années durant, enseigner à la faculté de médecine la physiologie, à des générations d’étudiants. Plus tard, après la guerre, il s’installa à Paris. Chez Masson, il a publié un Traité de Physiologie qui est devenu un classique.

Etre exceptionnel, passionné de toute forme d’art : musique, littérature, arts plastiques, autant que de sciences, esprit ouvert à toutes les formes de la création, il entretint toute sa vie, un commerce actif et vivifiant avec les créateurs les plus divers, de Gide à Picasso, Antonin Perbosc et Déodat de Séverac, Jean-Louis Vaudoyer, Jean Giraudoux, Louis Jouvet et André Suarès. C’est à ce dernier « par qui me fut révélé le culte du Verbe » écrivit-il, qu’il dédia son Essai sur l’hermétisme mallarméen, écrit dans les tranchées de la guerre 14-18.

Soula n’était encore que jeune étudiant de la Faculté de médecine lorsqu’il fit la connaissance de Séverac qui l’initia tout de suite à la connaissance des questions occitanes comme Soula le rappela dans son discours d’inauguration du monument à Séverac, au Jardin royal de Toulouse. C’était dans ce jardin royal qu’ils avaient eu une longue conversation au cours de laquelle le musicien lui avait retracé les malheurs de l’Occitanie historique, la civilisation du douzième siècle, la défaite de Muret et la perpétuelle renaissance au cours des siècles. Quant à Perbosc, Soula l’avait connu au hasard d’un séjour à la garnison de Montauban alors qu’il était encore mobilisé. Dès lors, ils se battirent ensemble pour la culture occitane. A son tour, Soula avait été l’artisan de l’amitié entre Perbosc et Séverac. Les deux maîtres ne s’étaient rencontrés qu’une fois auparavant, à Foix et n’avaient jamais pu se lier.

Camille Soula imposa à Toulouse le visage d’un intellectuel d’une sensibilité artistique universelle. Il fut pour une grande part dans la renaissance culturelle occitane. Pour lui, comme pour Séverac, il n’y avait point deux cultures, mais une seule.

La Ligue Oc avait pour organe l’hebdomadaire Le Travail, Soula y publia sous divers pseudonymes plus ou moins pittoresques, « des articles de critique toulousaine où son esprit caustique se livra à cœur joie au déboulonnement des mandarins, à la chasse aux imbéciles, à la mise à mort de la médiocrité, sous quelque forme qu’elle se manifesta. » Il écrivit également dans Le Feu, la revue créée par Emile Sicard.

En 1930 il fonde la SEO, la Societat d’Estudis Occitans qu’il refondra en 1945, en Institut d’Estudis Occitans, l’IEO, structuré à l’exemple de l’Institut d’Etudes Catalanes fondé en 1907, dont l’œuvre contribua de façon manifeste à servir la langue et la culture régionale. En disparaissant, en avril 1963, il laissait un grand vide chez les défenseurs de l’Occitanie, mais il avait ouvert la voie aux jeunes générations.

C’est un paysan du Quercy, ses parents étaient des bordièrs, des fermiers, illettrés. Etudes primaires supérieures, Ecole normale, Il sera instituteur dans plusieurs villages du montalbanais, Labastide-de-Penne, Arnac-sur-Seye, Lacapelle-Livron, Laguépie, Comberouger, Lavilledieu-du-Temple, avant de devenir, en 1914, bibliothécaire de la Ville de Montauban jusqu’en 1936.

Dans chaque poste il approfondit sa connaissance de la langue d’Oc et recueille avec la collaboration de ses élèves regroupés en « société traditionniste » (51 élèves, filles et garçons, entre 1900 et 1908), le patrimoine oral : chansons, dictons et proverbes, légendes, contes… Ils notaient fidèlement, sans y rien changer, les récits en dialecte local…

En 1892 il est aux côtés, de Xavier de Ricard et d’Auguste Fourès, les félibres « rouges » du Midi, et de Prosper Estieu pour la fondation de l’Escolo moundino, dont il devient félibre majoral (Cigala de la libertat).

Elu maître ès Jeux Floraux de Toulouse en 1908, il participe avec Prosper Estieu à la fondation de l’Escola Occitana à Avignonet en 1919, cette école avait pour but, la première, de restaurer et de mettre en honneur l’écriture historique de la langue, selon la graphie des troubadours, en cela il est un des rénovateurs majeurs de la langue occitane, c’est lui d’ailleurs qui imposera le premier le vocable Occitanie et ses dérivés, il en deviendra Capiscòl (président) de 1939 à sa mort survenue à Montauban le 6 août 1944.

Perbosc ne sera jamais un tenant de l’art pour l’art ; il garde toujours la volonté de rendre à l’Occitanie le rang qu’elle a perdu au cours de l’histoire.

Parmi ses recueils de poèmes il faut citer : Remembransa 1902, Lo Got Occitan 1903, L’Arada 1906, Las Cansons del Pòple 1923, Lo Libre dels Auzèls 1924, Lo segond Libre dels Auzèls 1930. Perbosc a aussi publié de très nombreux recueils de contes populaires : Contes licencieux de l’Aquitaine : contributions au folklore érotique 1907, La Debanadora 1924, Contes populaires de la Vallée de la Bonnette 1924, Psophos 1925, Fablels, Contes vièls e novèls et Fablèls calhols 1936, Contes atal 2006…

Dans sa fonction de bibliothécaire de la ville de Montauban, il publiera de nombreuses chartes de coutumes de communes du Tarn et Garonne, son expérience d’instituteur lui inspirera un ouvrage didactique Les langues de France à l’école paru en 1926, récemment republié avec un corpus de « quelques autres textes sur la question choisis et présentés » par Hervé Terral professeur de sociologie à l’Université Toulouse- Le Mirail, Collection CAP AL SUD dirigée par Philippe Martel éditions du Trabucaïre Canet mars 2006.

Camille Soula fut l’artisan de l’amitié entre Séverac et Perbosc, les deux hommes ne s’étaient rencontrés qu’une fois à Foix dans l’Ariège, bien qu’appartenant à des milieux sociaux très différents, le premier aristocrate, croyant fervent, appartenant à la droite progressiste, le second fils de paysan, instituteur, anticlérical et homme de gauche, félibre « rouge », ils eurent l’intelligence de s’apprécier pour leurs œuvres respectives et leur idéal commun, l’amour de leur terroir. Le poète écrivit au musicien :

« Mon cher Trobaire, car ce mot convient au musicien créateur non moins qu’au poète[…], votre musique est originale, intensément vivifiée par le souffle populaire, évocatrice de l’âme des races, de ces races aventureuses dont les chevauchées passent dans vos rythmes. »

Lettre publiée in : Jean Bernard Cahours d’Aspry Frédéric Mistral et Déodat de Séverac, Le félibrige et la musique. Le Monde de L’Art et des lettres n° spécial, cahier n°2, Paris, novembre 2004.

Déodat de Séverac a dédié sa mélodie Les Huns sur un poème de Paul Rey au « très aimable maître Antonin Perbosc, son très enthousiaste admirateur. Déodat de Séverac. X 1898 ». Cette mélodie est inédite.

Dans l’action occitaniste, le nom de Camille Soula ne peut être dissocié de celui de son confrère et alter ego le Docteur Ismaël Girard qui fut avec lui la cheville ouvrière et l’organisateur d’OC, de la SEO et de l’IEO.

Girard découvre le fait occitan (gascon) dès l’école entre 11 et 13 ans, puis à travers les œuvres de Camelat le grand écrivain béarnais et gascon, de Perbosc, de Mistral enfin. A son retour de la guerre de 14–18 il décide de se consacrer pleinement à l’occitanisme qu’il veut opposer à celui des « mainteneurs de la ritournelle ». Il collabore de 1918 à 1923 aux revues Reclams de Biarn e Gascougno et Gai Saber. Il publie le recueil de poèmes Signes 1959 sous le pseudonyme de Delfin Dario (nom d’une branche de sa famille, la plus anciennement implantée en Comminges), traducteur de Montaigne, auteur d’une Anthologie des poètes gascons du Gers 1942. L’occitanisme ne quitte pas le médecin puisqu’il collabore de 1931 à 1939 en catalan à la revue Medecina catalana où il tient une chronique de L’Occitània Mèdica.

Ismaël Girard tint jusqu’à sa mort le rôle d’une sorte de conscience de l’Occitanie, il se voulait plus inspirateur que créateur.

Poète, comédien, journaliste et écrivain, il s’est imposé comme une des personnalités marquantes du Roussillon de l’entre-deux-guerres.

En dehors de son incomparable Hymne au Roussillon 1916, on lui doit de nombreux poèmes dont Primeroses et Rimes roses 1905, dédié à son unique maître Edmond Rostand et couronné par les Jeux Floraux, La Terrasse au soleil 1921, Poèmes d’amour et d’automne 1929… et des ouvrages en prose, L’Âne qui mange des roses 1924, La fontaine du pèlerin 1926, Pel Mouchi 1936, histoire des jours heureux de la vie d’un petit perpignanais dans les dernières années du 19e siècle.

Pour Joseph Delteil il était « la Poésie en chair et en os ». Ses poèmes ont été chantés par Réda Caire, Ray Ventura, Charles Trenet son fils spirituel, Johnny Hess, Jean Edouard… Charles Trenet fut le secrétaire de Bausil, il ne manquait jamais de témoigner sa reconnaissance et sa fidélité à celui qu’il considérait comme son maître en poésie, un « Prince » à Perpignan, dont il fit la connaissance adolescent à 13 ans, alors qu’il était externe au lycée de Perpignan. En 1940 Trenet est une vedette, mais il n’oublie pas son pygmalion, son vieil ami Albert, il lui écrit : « Plus je replonge dans votre vie, plus je la trouve admirable. Des gens comme vous il n’y en a plus et il ne peut plus y en avoir. ». Dans son livre de souvenirs Mes jeunes années, Robert Lafont, Paris, 1978 ; il déclare : « Merci Bausil ! Merci Albert ! j’ai passé, grâce à vous, grâce à toi, la période transitoire de mon adolescence dernière dans un bain sublime où le merveilleux me donna le pouvoir de planer tout en renforçant mes racines, ange et arbre à la fois. »

Albert Bausil dans ses journaux, Le Cri Catalan et Le Coq Catalan (un titre qui résume son action et son attachement au territoire catalan, « Nous sommes aussi fiers d’être catalans d’origine que nous sommes heureux d’être français » y écrit-il), fut pendant trente ans le chroniqueur indépendant de la vie perpignanaise. Régionaliste d’esprit mistralien, il se fit le chantre de sa province dont il ne cessa à travers ses écrits et son action de chanter les beautés et d’œuvrer pour le maintien de la Tradition catalane et la constitution du Musée catalan. Son emprise avec le territoire est absolue, ne se limitant pas à l’écriture, il s’implique par exemple dans la politique touristique du Roussillon Itinéraire en Roussillon 1937 ou dans la vie sportive, en accompagnant les succès de l’USAP, le club de rugby perpignanais, fasciné par la beauté des jeunes hommes en plein effort, il écrit à leur gloire, Au muscle catalan 1921 et Le Rugby catalan 1924.

Enfin, passionné depuis l’enfance par le théâtre, il s’illustra dès 1902 dans le rôle de L’Aiglon, écrivit quelques ouvrages dramatiques et monta une trentaine de revues qui furent créées à Perpignan, Vernet-les-Bains, Font-Romeu, Biarritz, Nice et Paris, il avait sa propre troupe de comédiens, Les Amis du Théâtre.

Séverac et Bausil s’étaient connus en Lauragais en novembre 1900 à l’occasion d’un concert de Ricardo Viñes « donné au profit des écoles libres chrétiennes de Revel » auquel participait Déodat de Séverac, Bausil y récitait des extraits de L’Aiglon de Rostand et de Gringoire de Théodore de Bainville. Ils renoueront une amitié très forte lorsque Séverac s’installera à Céret, tous deux collaboreront après la guerre pour un ouvrage bouffe de Séverac resté inachevé Le roi Pinard. C’est grâce à une souscription lancée par Bausil que fut édifié le monument à Séverac à Céret.

Poète et manadier provençal. Il est le fils de Philippe d’Arbaud et de Marie-Louise Valère-Martin. Élevé dans l’amour de la langue provençale et de l’Histoire, il voue un profond respect à Frédéric Mistral. Fille du félibre Valère Martin, Marie d’Arbaud, sa mère, est l’auteur d’un recueil de poèmes en provençal publié sous le nom de Li amouro de ribas – Les Mûres des talus.

À l’âge de 10 ans, il part étudier chez les jésuites à Avignon, puis fait des études de droit à Aix entre 1896 et 1898. Après quelques années mondaines à Aix, il décide de partir en Camargue et d’y devenir manadier, à l’image de son cousin éloigné Folco de Baroncelli-Javon, lui aussi écrivain et fervent défenseur de l’âme provençale. La rude vie de gardian qu’il vécut intégralement durant plusieurs années développa son tempérament poétique. « Tu les domines tous », lui écrivait Mistral dont Il fut l’un des disciples les plus estimés. Majoral du Félibrige en 1918, d’Arbaud a dirigé la revue « Le Feu », pendant quelques années, après la mort d’Emile Sicard.

On lui doit : Li Cant Palustre Les Chants Palustres 1901, Lou lousié d’Arle Le laurier d’Arles, Grand Prix des Jeux Floraux 1906, La bestio dóu Vacarès-La bête du Vaccarès, préface de Charles Maurras 1926, son œuvre la plus connue, La Sóuvagino 1929, des contes La Caraco, Nouvé gardian-Noël gardian 1906…

Toutes ses œuvres sont profondément imprégnées par la nature, l’imaginaire mythologique et les traditions de la Camargue.

Débute sa vie professionnelle comme ouvrier agricole de 1942 à 1944 après des études de lettres au Lycée Louis-le-Grand. Il adhére au PCF en 1944, il devient instituteur de village puis professeur de collège.

Écrivain en occitan, il est l’auteur de recueils poétiques, de nombreux textes de critique et d’histoire littéraire occitane parus dans la revue Oc, dont il fut un temps dans les années 50, rédacteur en chef.

Militant occitaniste, Il défend toute sa vie la culture occitane sous tous ses aspects, attaquée par un centralisme français destructeur. Il est le théoricien du concept de « décentralisation culturelle ». Il mène à partir de 1954 à Montauban une action décentralisatrice dans sept structures-laboratoires : Assises Nationales de la Décentralisation Culturelle, Centre international de Synthèse du Baroque, Editions Cocagne, Forum des identités communales, Festival de Montauban, Montauban-Caméra, Art nouveau/Mòstra del Larzac ; fédérées depuis 1984 autour du Carrefour d’Occitania. Il en tire une théorie de la Décentralisation Culturelle : Décentralisation occitaniste 1973, Manifeste multiculturel et anti-régionaliste 1984 -30 ans d’expérience décentralisatrice-, Carnets de route de Félix-Marcel Castan, 6 numéros, 1998-2000. Ses concepts de « Villes capitales » et de « Langues de France » apportent incontestablement une vision nouvelle à la problématique de la décentralisation et du dualisme nation-région.

Des musiciens (Claude Sicre, Bernard Lubat, Massilia Sound System), des écrivains (Bernard Manciet, Michel Ducom), des manifestations (Journées de Larrazet) ont contribué à élargir le champ et l’audience du combat de Castan, entre autres au sein du mouvement de la Linha Imaginot.

Enfin Castan a été un des premiers à notre époque à percevoir la dimension idéologique occitaniste de la démarche artistique de Séverac. Son article La position critique de Séverac (1872-1921) paru dans son Manifeste multiculturel pp. 37-40, est particulièrement révélateur à cet égard.

Félix-Marcel Castan participa lui-même au premier spectacle du festival Déodat de Séverac en juillet 1994.

Docteur en droit, avocat au barreau de Toulouse, député (centre-droit) de la Haute-Garonne (arrondissement de Villefranche de Lauragais), de 1906 à 1936. Conseiller général de 1925 à 1945. Acquis aux idées régionalistes et sensible aux problèmes de la décentralisation artistique, il publiera Décentralisation musicale préface de Gabriel Fauré, Eugène Figuière et Cie, Editeurs, Paris, 1912, ouvrage très inspiré par la thèse de Séverac.

Ami proche de ce dernier, Il le convaincra d’entrer en politique en lui demandant de se présenter le 28 juillet 1907 au scrutin de conseiller d’arrondissement de Villefranche de Lauragais, en compagnie de son ami Auguste Get de la famille des fabricants du célèbre alcool mentholé Pippermint Get qui fit la renommée de Revel.

« Il s’agissait de démolir deux blocards qui étaient conseillers depuis 15 ans. Nous nous sommes présentés comme « Régionalistes » et malgré une pression officielle incroyable, nous avons été élus tous deux avec 300 voix de plus que les conseillers sortants ».

Lettre de Séverac à Carlos de Castéra postée le 30 juillet 1907 in Pierre Guillot, Déodat de Séverac : la musique et les lettres op. Cit. note 9 pp. 286-287

Ces conseillers sortants, François Raissac, premier adjoint au Maire de Revel et Paul Férrié, ancien professeur au collège de Revel, appartenaient au Parti radical-socialiste, premier parti de la coalition du Bloc des gauches alors au pouvoir, parti radical-socialiste dont le chef était Georges Clémenceau, qui cumulant les fonctions de Président du Conseil et de Ministre de l’Intérieur venait de faire tirer sur la foule des vignerons révoltés à Béziers en juin 1907, acte qui avait indigné Séverac. Un banquet démocratique particulièrement copieux présidé par Henri Auriol, fut donné pour célébrer la victoire de Séverac et Get, sous la Halle de St Félix le 20 octobre 1907. Séverac était déjà conseiller municipal de St Félix depuis 1900.

Henri Auriol prononcera un discours aux obsèques de Séverac à St Félix, publié in Le Feu, 15 juillet 1921, pp. 231-232. En voici un extrait où il conte l’épisode « politique » de la vie du musicien. « Au cours de son unique campagne électorale, lorsqu’on lui demandait ce qui le désignait au vote de ses concitoyens, alors qu’il pouvait invoquer de nombreux titres, il se borna à répondre : « J’ai créé la Lyre du Vent d’Autan ». Ce grand musicien avait eu, en effet, la patience de réunir autour de lui les jeunes gens de son village et de leur inculquer les premiers principes de la musique ; il en avait fait un groupe d’artistes et chacun, malgré les divergences d’opinion et grâce au prestige de son chef, avait oublié ses rivalités et ses querelles. Quel beau programme d’union et de réconciliation ! »

Avocat à la cour d’appel de Paris, Député (républicain socialiste puis Cartel des Gauches) des Pyrénées-Orientales de 1914 à 1930 (circonscription de Céret), sénateur des Pyrénées-Orientales de 1930 à 1936, rapporteur du budget des Beaux arts en 1920 à la Chambre des députés, sous-secrétaire d’État à l’Enseignement technique et aux Beaux-Arts du 23 juin au 17 juillet 1926, dans un éphémère gouvernement Aristide Briand. Une des préoccupations majeures de toute sa vie fut le droit intégral du peuple à l’instruction, à ce titre il fut toujours un ardent promoteur de l’éducation artistique des masses.

Auteur d’un rapport sur le théâtre populaire en 1920, il y pose les bases de la création d’un Théâtre National Populaire dans la salle du Trocadéro, pour cela son nom sera associé à la création institutionnelle du premier Théâtre National Populaire de Jean Vilar. Il n’est pas étonnant qu’il ait travaillé pour ce rapport avec Henri Auriol, l’ami de Séverac.

Violoncelliste, chef d’orchestre, compositeur catalan. Un des plus grands instrumentistes de son temps, étudie à Barcelone et à Madrid puis se fixe à Paris en 1900, carrière internationale, il constitue avec Jacques Thibaud au violon et Alfred Cortot au piano un trio mythique, il retourne à Barcelone en 1919 pour y fonder un orchestre symphonique.

Lorsque la guerre civile espagnole éclate, il prend parti pour les républicains, à leur défaite, il décide de s’exiler, il résidera d’abord en France, à Prades où il y crée un Festival Pablo-Casals en 1950 qui existe toujours, les plus grands interprètes de son temps l’y rejoindront le temps d’un concert. A partir de 1957, il partagera sa vie entre Prades et San Juan de Porto Rico où il fondera un orchestre symphonique et résidera définitivement à partir de 1966 jusqu’à sa mort.

Séverac et Casals ne se sont pas physiquement rencontrés, ils l’auraient pu, à Paris à partir de 1900 lorsqu’ils y vivaient tous les deux ou à Barcelone en 1920, Casals dira

« Les années où Séverac vécut à Paris, coïncidèrent avec mon premier long séjour dans la capitale, ses maîtres furent tous mes amis; mais je n’ai eu ni la joie ni l’occasion de faire sa connaissance. »

in Hommage à Déodat de Séverac op. cit. note 10.

C’est par leur esprit, que leurs démarches artistiques respectives vont se croiser autour de valeurs humanistes, comme Séverac, Casals est un homme d’une absolue intégrité morale, il saura mettre son art au service d’idéaux sur lesquels il restera inflexible tout au long de sa vie. Il mènera ainsi un combat sans répit pour la paix, la justice et la liberté. Dès 1933 il refusera de jouer en Allemagne nazie, après la guerre il ne donnera plus de concerts officiels pour marquer sa désapprobation du laxisme de la communauté internationale envers le régime politique du caudillo Franco qui survivait à la chute du fascisme, il ne jouera que chez lui à Prades avec ses amis.

Il reçoit en 1971 la Médaille de la Paix qui lui sera remise à New York aux Nations Unies, à cette occasion il prononce un discours qui est un vibrant hommage à ses racines 34 catalanes et aux valeurs de sa civilisation :

« La paix a toujours été le plus grand de mes soucis. Enfant déjà, j’ai appris à l’aimer.[…] De plus, je suis catalan. Bien avant l’Angleterre, c’est en Catalogne que l’on trouve le premier Parlement démocratique. Et c’est dans mon pays qu’ont été créées les premières nations unies. A cette époque, au XIe siècle, les Catalans se réunirent à Toulouges, en France aujourd’hui, pour y parler de paix, car en ce temps-là, les Catalans étaient déjà contre, CONTRE la guerre.[…] Cela fait bien longtemps que je ne joue plus du violoncelle en public, mais je crois qu’il est de mon devoir de le faire en cette occasion. Je vais jouer une mélodie du folklore catalan : El Cant dels ocells (Le Chant des oiseaux). Une mélodie qui émane, de plus, de l’âme de mon peuple, la Catalogne. »

Discours prononcé le 24 octobre 1971 à l’ONU

Enfin ce qui unit le plus Casals à Séverac et fait qu’il lui voue une reconnaissance sincère, c’est l’amour que Séverac porta à sa terre catalane et la petite cité de Prades en Conflent catalan où tous deux vécurent :

« Les Catalans, nous lui sommes doublement reconnaissants pour la compréhension l’enthousiasme et l’amour que notre terre lui a inspiré. Personnellement je me sens lié à Séverac par une coïncidence que j’ai plaisir à remarquer : son séjour à Prades va lui permettre de découvrir la Catalogne. Cette même Catalogne dont moi à Prades, j’ai tant la nostalgie… »

in Hommage à Déodat de Séverac op. cit. note 10

Nous connaissons mal quelles ont été les relations entre Séverac et Gide, elles ne furent probablement qu’épisodiques, mais nous savons par contre que tous deux avaient plusieurs amis communs.

Chronologiquement leur première rencontre aurait pu se faire par l’intermédiaire d’Eugène Rouart, fils d’Henri Rouart le célèbre collectionneur de peintres impressionnistes. Rouart et Gide se connaissaient depuis 1893, Gide lui avait dédié Paludes en 1895. C’est probablement en 1902, que Séverac et Rouart se rencontrèrent, Rouart dans un article écrit à la mort de Séverac, Souvenirs sur Déodat de Séverac, La Revue Musicale, oct. 1921, n° 11 pp. 216-222, évoque sa première visite à Séverac à St Félix, « il y a bien près de vingt ans », ce qui permet d’avancer cette date. De plus Eugène Rouart était le frère d’Alexis Rouart qui devint l’éditeur de Séverac à partir de 1905.

Autre possibilité plus tardive, François Paul Alibert qui fut un intime des deux hommes. C’est en 1907 probablement à Toulouse que François-Paul Alibert et André Gide se rencontrèrent pour la première fois, ce contact fut prolongé par un séjour à Bagnols de Grenade près de Toulouse, dans la propriété de leur ami commun Eugène Rouart que l’on retrouve encore. Une excursion de quatre jours dans le Gers et les Landes fut la suite et la conclusion de ces journées, (sur cet épisode lire : Xavier Ravier, François-Paul Alibert, André Gide, Eugène Rouart : une escapade gasconne, Chemins ouverts. Mélanges offerts à Claude Sicard, Les cahiers de littératures, Toulouse, Presses Univ. du Mirail, 1998, pp. 191-201). Gide et Alibert feront ensuite chaque année un voyage ensemble, Gide lui dédiera Incidences en 1924.

Enfin Victor Gastilleur, ami intime de Séverac, qui fréquentait Alibert et Gide aurait pu aussi jouer ce rôle. Une lettre de Gide à Alibert du 19 décembre 1907, révèle en tout cas, dans son post-scriptum, au moins une rencontre avec Séverac, « Avez-vous su que j’eus, il y a deux mois, le plaisir de lire votre admirable Buisson ardent à Bagnols, devant Rouart, Gastilleur et Séverac… ? ».

D’autre part, André Gide et Camille Soula furent en relation littéraire notamment autour de l’œuvre de Stéphane Mallarmé. Quant on connait l’admiration de Soula pour Séverac, on peut penser qu’il ait pu solliciter Gide pour enrichir d’une caution prestigieuse, l’hommage qu’avec L’I.E.O, il voulait rendre à Séverac à l’occasion du trentième anniversaire de sa mort.

Pendant un de ses séjours à Céret au printemps 1912, Picasso fit un portrait « cubiste » de Séverac à la plume encre de chine et mine de plomb intitulé Déodat de Séverac au piano, conservé au musée Picasso de Paris. Il ornera en outre, en en-tête de page, les lignes d’hommage citées d’un petit portrait de Séverac à la plume.

Fils et petit-fils d’architectes, son grand père d’origine toscane s’installa à Carcassonne dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

Professeur de lettres et de philosophie au lycée de Carcassonne puis à la Faculté des lettres de Toulouse, d’une rare curiosité intellectuelle et d’une incroyable érudition, René Nelli a consacré la majeure partie de son œuvre à l’étude et au rayonnement de la culture occitane. Il fut entre autres président de la SEO-Société d’études occitanes, un des fondateurs de l’IEO en 1945, rédacteur en chef de la revue OC.

Dans les années 1928-1930, et jusqu’en 1950, il a été très lié avec le poète Joë Bousquet et a pris à ses côtés une part active à l’élaboration du surréalisme méditerranéen. Ce mouvement se développait alors, un peu en marge du surréalisme parisien, à Marseille dans Les Cahiers du Sud, et à Carcassonne autour de la revue Chantiers. Nelli a également dirigé la revue d’ethnologie méridionale Folklore.

Traducteur de la poésie des troubadours, il fut le spécialiste du catharisme, du Moyen-Âge occitan et de sa métaphysique, de sa poétique et de l’amour courtois.

Parmi ses ouvrages il faut citer : dans le domaine de l’histoire de la littérature occitane Les troubadours Anthologie bilingue, L’Érotique des troubadours, La Poésie occitane, Écrivains anticonformistes du Moyen Âge occitan, Raimon de Miraval : Du jeu subtil à l’amour fou -, dans le domaine de l’histoire du catharisme Dictionnaire du catharisme et des hérésies méridionales, Le Phénomène cathare : perspectives philosophiques et morales, Les Cathares ou L’éternel combat, Journal spirituel d’un cathare d’aujourd’hui, Beatris de Planissolas.

Un autre aspect majeur de son activité bien que moins connu que les précédents fut son œuvre poétique en français et en occitan, Poésie ouverte, poésie fermée 1947, Armat de vertat 1952, Vespèr e la luna dels fraisses 1962, Sonnets monosyllabiques occitans 1990.

Professeur émérite de l’Université Paul-Valéry de Montpellier, linguiste de profession, il fut tout à la fois polyglotte, romancier, poète, auteur de théâtre, essayiste, médiéviste.

Écrivain polyvalent, son œuvre comporte près d’une centaine de livres en occitan, en français, en catalan et en italien. On y trouve aussi bien des ouvrages sur l’histoire littéraire et l’histoire des sociétés, que des ouvrages sur la linguistique et la sociolinguistique, ou des ouvrages sur les déséquilibres socio-économiques en France et en Europe. Ses amis présentent Robert Lafont comme un citoyen du Monde et d’Europe, penseur et acteur majeur d’un occitanisme ouvert. Dans ses essais en français, il présente la situation, non seulement de l’Occitanie, mais également de l’ensemble des minorités vivant sur le territoire français. Il est l’un des théoriciens de ce qu’il est convenu d’appeler le colonialisme interne, en parlant de la situation occitane.

L’autre volet de son œuvre, la littérature en langue occitane, marque un renouveau de la création littéraire dans cette langue, par sa rupture totale avec la tradition folklorique antérieure. Il a fondé le Comité occitan d’études et d’action et assumé la direction de diverses publications périodiques L’ase negre en 1946, Viure en 1962, Amiras dans les années 80, La Revista Occitana en 1993.

Il a également été producteur de théâtre d’animation sociale. Il a été président de l’Institut d’études occitanes (qu’il a quitté en 1981 à la suite de tensions internes anti-universitaires). En 1974, il avait entrepris de se présenter aux élections présidentielles françaises, mais sa candidature a été rejetée par le Conseil constitutionnel faute d’un nombre suffisant de signatures d’élus validées, pour qu’il n’atteigne pas le seuil requis ; il sortira de ses comités de soutien le mouvement Volem Viure al País, dont des membres fonderont ultérieurement, avec adhésion de Robert Lafont, le Partit Occitan, membre de Régions et Peuples Solidaires qui est une des composantes d’Europe Écologie.