L'apothicairerie

Yeux d’écrevisse

Pot yeux d’écrevisse, collection particulière, cliché Frédéric Gaudet

Prudhon (sculpt.), d’après Pretre, [Gravure d’écrevisse], dans : F.G. Levrault, Le Normant (éd.), Dictionnaire des sciences naturelles… Strasbourg, 1816-1845, Gallica

Sous cet intrigant nom de médicament se cache une imposture. Non, les médecins anciens ne prescrivaient pas les yeux du crustacé. Les yeux d’écrevisse sont des gastrolithes, de petites concrétions blanches et pierreuses qu’on trouve sous le corselet des écrevisses de rivière. Il s’agit d’une réserve de calcium que l’animal utilise pour fabriquer sa nouvelle carapace durant la mue. Le nom de « yeux » lui a été donné pour sa forme qui rappelle l’œil humain, mais aussi parce qu’on la trouve dans l’estomac de l’écrevisse… estomac situé juste derrière les yeux du crustacé.

Les yeux d’écrevisse furent longtemps vendus avec succès dans les pharmacies, sous les noms de lapilli cancrorum, lapides cancrorum ou oculi cancrorum.

On les trouvait sous leur forme originale, qui ressemble fortement aux comprimés de pharmacie. On les réduisait en poudre pour les consommer, notamment pour soigner les douleurs digestives, hémorragies et vomissements. Cependant l’utilisation des yeux d’écrevisse, voire du crustacé en entier a fortement varié avec les époques, suivant la succession des théories médicales.

Dans l’Antiquité on attribuait aux crustacés le pouvoir d’agir comme contrepoison en cas d’intoxication d’origine animale, en particulier contre la rage qui était alors considérée comme un empoisonnement. La consommation de crabes et d’écrevisses se développa au Moyen Age car ces animaux, considérés comme « exsangues », pouvaient être consommés les jours de jeûne.

Logiquement, dans la « théorie des humeurs » le crustacé est considéré froid et humide. Il est alors conseillé aux personnes amaigries ou convalescentes. En réfrigérant et diluant les humeurs du corps, il est supposé utile contre la fièvre.

Pot à pharmacie. Yeux d’écrevisse, quatrième quart 18e siècle, faïence de grand feu © Musée Henri Barré de Thouars, , inv. 305, avec leur aimable autorisation

Les adeptes de la médecine astrologique utilisaient le crustacé contre les maladies de poumon et de sein, arguant que le signe du Cancer influence la poitrine et que Jupiter règne sur le poumon et le foie. Ainsi, contre le cancer du sein, on appliquait un emplâtre de crabes et crustacés broyés vivants.

Enfin, la « théorie des signatures » préconisait le crustacé pour les phtisiques (ou tuberculeux), puisque sa carapace rappelle la forme du thorax humain. Les yeux d’écrevisse servaient pour les maladies des yeux, du fait de leur ressemblance avec l’œil humain.

Jusqu’au 19e siècle on utilisa la poudre d’yeux d’écrevisse pour ses vertus diurétiques. Associée à de la moutarde, on en faisait aussi une pâte pour guérir les plaies. L’analyse chimique mit fin à ces usages fantaisistes.