En résumé
Avec ce départ, Déodat brandit aussi avec autorité l’étendard de son itinéraire personnel, politique et artistique : le régionalisme. La commande d’Héliogabale, un opéra destiné à être joué dans les arènes de Béziers à l’été 1910 représente une merveilleuse occasion de mettre en musique ce retour dans le Midi et cet engagement militant. Déodat, inspiré par Mistral dont il est un fervent admirateur, fréquente en effet depuis longtemps le Félibrige ou les cercles régionalistes qui défendent la renaissance latine.
Déodat se fixe à Céret où la douceur de vivre, le climat ensoleillé et la splendeur des paysages, donnent un nouveau souffle à son travail créatif.
En y accueillant ses compagnons de Montmartre, Picasso et Braque, il initie dans la capitale du Vallespir une vie culturelle brillante.
Le « musicien-paysan » qui a fait de son enracinement sa griffe artistique trouve en Céret un lieu de traditions dont il s’inspire pour composer.
Mais, la nature est la source première de son énergie artistique. Promeneur contemplatif, peintre-compositeur ou chantre de la terre, Déodat réinvestit dans son œuvre une relation riche et passionnée avec elle.
Chapitre 1Le Midi à sa porte
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L’identité et la stigmatisation
La centralisation et les petites chapelles musicales ne se réduit certainement pas à une description mordante des milieux artistiques parisiens. Au premier chef, ce mémoire est un manifeste et une profession de foi. Séverac y brandit avec fierté et autorité l’étendard de son itinéraire personnel et artistique : le régionalisme.
Déodat ne compte pas pour autant parmi ces « folkloristes savants » qui foisonnent à la Belle Époque, et dont le lien aux traditions populaires relève souvent d’une approche intellectuelle ou esthétique, fût-elle en écho à une histoire personnelle. Chez lui, cette relation, cristallisée dès l’enfance, a la force du naturel. Il est authentiquement ce « musicien paysan », cet « héritier d’une race », formules qu’il emploie lui-même pour marquer son attachement charnel à un terroir, son climat, sa végétation, ses paysans, ses danses, ses fêtes, ses jours et ses travaux.
Ainsi, le choix d’asseoir sa griffe artistique sur le Midi et ses traditions, qui lui offre sans doute une singularité, tellement capitale dans cet environnement si concurrentiel, loin d’être un calcul, relève avant tout d’une grande sincérité et d’une réelle légitimité.
Bien sûr, cette identité artistique s’est affirmée bien avant d’être explicitée dans sa thèse. La seule considération du titre de ses œuvres les plus importantes, Le chant de la terre, En Languedoc…, ou de l’argument qui les porte (le Cœur du moulin est une intrigue amoureuse et moraliste avec pour arrière-plan le monde paysan de Saint-Félix, A l’aube dans la montagne est une peinture en musique d’un lever de soleil sur le Lauragais…) rappelle l’ancienneté et la profondeur de cet axe.
Rappelons par ailleurs que Déodat, lors de son séjour parisien, est parfois gentiment raillé et doucement stigmatisé pour son accent rocailleux, – « Séverrrrac », lit-on quelquefois dans la correspondance de ses relations – et donc, d’une certaine façon, déjà « rappelé », probablement avec une légère pointe de dédain, à sa chère province.
Le tranchant des idées régionalistes de Séverac, affichées « avec des lourds sabots de rimeurs de bourrée », et réitérées par la publication de son mémoire dans Le Courrier musical de 1908 pour « enfoncer le clou », ont sans doute accusé l’effet d’une terrible mécanique reléguant peu à peu Déodat dans une forme de marginalisation. Ravel, qui salue Déodat d’un sarcastique « docteur » depuis qu’il a pris connaissance de sa brève thèse, est sans doute secrètement ravi du départ de corps et de cœur de ce rival et concurrent important. Il plastronne dans les salons et s’empresse désormais de répandre dans le tout Paris que Séverac est vidé.
Il est loin d’être isolé dans cette attitude. Les années passant, le compositeur « décentralisé » connaîtra un oubli croissant de la part de nombre de ses puissantes et prestigieuses relations parisiennes. Certains amis proches, souvent d’origine méridionale, Blanche Selva, Joseph Canteloube, Ricardo Viñes, resteront malgré tout fidèles à l’homme et l’artiste jusqu’à la fin.
Ainsi, le choix du retour dans le Midi est sans doute pour Séverac celui d’une forme de plénitude, dans la mise en harmonie de ses sentiments et de ses opinions, ou en le libérant du poids de la nostalgie pour son pays natal. En ce sens, il est celui du bonheur. Il est aussi celui de la revivification de sa verve créatrice, mais certainement au sacrifice de sa carrière et de sa postérité, en le confinant à une stature réduite à des dimensions régionales.
Héliogabale : le peuple, le plein air et le soleil
Avec l’appui de Gabriel Fauré, Déodat obtient du riche propriétaire viticole, Fernand Castelbon de Beauxhostes, une formidable occasion de mettre en musique son retour dans le Midi : la commande d’une tragédie lyrique destinée à être exécutée dans les arènes de Béziers pendant l’été 1910. Le choix de l’argument se porte sur Héliogabale, un livret du poète et journaliste marseillais Émile Sicard qui, malgré quelques faiblesses, recèle une promesse de spectaculaire qui convient parfaitement au contexte.
Le cadre de représentation des arènes de Béziers, après les Chorégies d’Orange, initie la tradition des festivals d’été qui nous est aujourd’hui si familière. Héliogabale est un art du grand qui doit se rehausser à la majesté du plein air et au volume de l’architecture. Héliogabale est un spectacle total et populaire, mettant en scène une dévotion païenne au soleil, des orgies romaines, des danses, des rituels, des cortèges… Le livret, rédigé à la gloire du christianisme, se veut édifiant, dans un esprit d’éducation populaire.
Le compositeur, dont la réputation aujourd’hui est surtout attachée à l’art des nuances et des camaïeux, doit se réinventer, « chercher autre chose ». Il emprunte aux tragédies lyriques à la française des Lully et Rameau la clarté formelle, l’équilibre et l’efficacité dramatique.
Pour faire face à la dilution du son et de l’attention du plein-air, Déodat, qui se reconnait un penchant pour les « flonflons et les rataplans » des orphéons, harmonies et autres orchestres populaires d’extérieur, a l’idée de mobiliser une cobla, l’orchestre traditionnel de danse roussillonnais et catalan. Déodat en avait en effet fait la découverte en 1900 à Arles-sur-tech, et en avait conservé une forte impression. Il se documente sur les caractéristiques des instruments et écrit quelques passages pour l’excellente bande cérétane des Cortie-Mattes, dirigée par son talentueux chef Albert Manyach.
Le dispositif fonctionne à merveille. La sonorité colorée et rutilante des hautbois populaires émerge avec éclat et panache de l’important effectif orchestral et choral. L’orchestre de cobla emporte l’enthousiasme des 12 000 spectateurs des représentations de Béziers comme, l’année suivante, celui du public de la salle Gaveau à Paris pour la reprise de la tragédie en version de concert, au point d’éclipser l’interprétation de l’orchestre.
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« Un groupe de musiciens catalans dont monsieur de Séverac a employé les instruments, sorte de hautbois rustiques au timbre plein, rude et fort, ont eu un succès énorme et mérité. Le rythme a chez eux une intensité et une énergie admirables. Ils alternaient avec les bois ordinaires, les uns et les autres disant tour à tour les mêmes phrases. Chaque fois que c’était aux Catalans à jouer, le rythme prenait une netteté, un accent, un mordant incisif et superbe. Chaque fois que c’était à nos instrumentistes, tout s’émoussait, s’amollissait, devenait faible et comme savonneux. » écrit le critique musical du Temps Pierre Lalo. Les représentations d’Héliogabale des 22 et 23 août 1910 remportent un véritable triomphe. A côté de l’immense succès populaire, la musique recueille les laudes quasi-unanimes de la critique.
L’engagement occitan
Qu’il s’agisse de son sujet, ou de sa forme engageant théâtre, musique et ballet, Héliogabale est une célébration de la tragédie antique. Le compositeur aime dans ce projet cet écho à la représentation d’une culture méridionale héritière des prestigieuses civilisations grecque et latine. Dès ses années toulousaines, Déodat et ses camarades font rouler dans leurs conversations des idées de restauration d’un Midi triomphant et lumineux, fédérant les pays méditerranéens, transpyrénéen et transalpin, enraciné dans un passé glorieux allant de l’Antiquité aux troubadours.
Probablement poussé par la nostalgie, il renforce au cours de son séjour à Paris son attachement à son cher Midi en l’adossant, au fil des rencontres et des lectures, à un corps idéologique et un militantisme politique. Dès son arrivée à la Schola, il fréquente de nombreux « cadets » du pays, ardents défenseurs de la renaissance latine et de l’amitié des « peuples bruns », dont le poète Marc Lafargue, ou le futur médecin Ernest Boyer et le sculpteur Joseph Lamasson. En 1897, il s’affilie à un groupe de poètes occitans où figurent Paul Rey, collaborateur de la Terro d’Oc, Paul Redonnel, directeur de La Plume et Jean Charles-Brun, directeur de l’Action régionaliste, à qui il dédie sa thèse. Outre ceux déjà cités, il y a encore parmi ces poètes, artistes occitans et intellectuels régionalistes que Déodat fréquente : Émile Pouvillon, Jean Amade, Prosper Estieu, Antonin Perbosc ou Joseph Canteloube…
A partir de 1898, il assiste aussi aux réunions du cercle parisien du Félibrige qui se retrouve au café Voltaire, place de l’Odéon. Déodat est en effet depuis son adolescence un fervent admirateur de l’œuvre de Frédéric Mistral qui incarne et porte le mouvement. A l’image du maître de Maillane, dont il choisit le vers en épigraphe de sa suite En Languedoc « Ils ne chantent que pour vous pâtres et gens des Mas…», il a l’ambition de dessiner dans le domaine de la musique un classicisme méridional.
Comme Mistral, il mêle autour d’une terre et son peuple, souvenirs et sentiments, engagement militant et identité artistique, dans une unité profonde. Il rencontrera quelque fois son prestigieux aîné, nouera avec lui des liens étroits et assistera à Aix à sa dernière Santa Estèla de 1913.
Par ailleurs, le compositeur promeut en musique la langue d’Oc, véhicule à ses yeux du génie des peuples méridionaux, de la Gascogne à la Provence. Il écrit quelques chants et mélodies sur des poésies occitanes, anciennes ou contemporaines. Albada a l’estèla, est composée en 1898 sur un poème de Paul Rey ; son chœur pour voix d’homme a capella Sant Felix de 1900 est écrit sur un poème occitan de Vincent Belloc. Sous le titre Flors d’Occitania, emprunté à un recueil de Prosper Estieu de 1906, il réunit dans un cycle trois mélodies : Canson pel Cabalet sur un poème d’Estieu, Albado sur un texte de Marguerite Navarre et Cant per Nadal sur des vers de Peire Godolin.
Chapitre 2« Monsieur Déodat » à Céret
La vie de village
Au cours de cette période, Déodat trouve en la Catalogne un autre pôle à son Midi. En janvier 1910, le compositeur, qui vient tout juste de signer « le contrat de Béziers », cherche un havre de paix pour écrire son Héliogabale. La maison familiale de Saint-Félix ne présente plus ces conditions depuis qu’il envisage d’épouser Henriette Tardieu. Déodat, qui avait assisté à la représentation du Mirèio de Frédéric Mistral à Castelnaudary où la modeste fille de coiffeur tenait le rôle-titre, profondément séduit par l’actrice, a entrepris de faire d’Henriette sa Mireille. Hélas, la mésalliance entre le jeune baron et l’humble modiste, et le choix de l’amour au mépris du devoir de lignée, provoqua un véritable orage chez les Séverac.
Ainsi, Déodat, à l’invitation de deux camarades – le sculpteur catalan Manolo Hugué, qui fuyait la vie miséreuse et famélique de la bohème parisienne, et l’élégant et séduisant peintre américain Frank Burty-Haviland, fils du riche patron de la manufacture de porcelaine Haviland à Limoges -, en vient à descendre en gare de Céret par une belle journée ensoleillée. Il loue les premiers temps une chambre en pension à l’Hôtel du Canigou où il est choyé par les propriétaires pour une somme modique.
Outre l’excellente cuisine et l’ambiance chaleureuse, il retrouve chaque jour, à travers la fenêtre qui surplombe la table de travail où il travaille « comme un nègre » à sa tragédie, la beauté somptueuse des Albères bleutées et nimbées par le soleil levant, la verdeur vallonnée du Vallespir et le trait incertain et lointain de l’azur de la mer. Subjugué par ces paysages qu’il tient pour une « montée en méridionalité », sans doute aussi rappelé à l’ancienne fascination qu’exerçait sur l’enfant de Saint-Félix la silhouette mystérieuse du Canigou, Déodat reconnaît en Céret sa terre d’élection et décide de s’y fixer.
Le distingué gentilhomme paysan se love avec délice et naturel dans la dolce vita cérétane. Il y noue très vite de solides amitiés avec des personnalités locales, de la plus humble à la plus élevée, et goûte leur compagnie à la terrasse du Grand Café ou dans des agapes champêtres où la boisson et les rires ne manquent jamais. Cette existence paisible, si éloignée de l’austérité de la Schola ou du dandysme urbain des Apaches, redonne un nouveau souffle à son travail créatif. L’artiste qui ne sait « enfanter dans la douleur », trouve dans l’hédonisme de ce temps plus indiscipliné – il parle complaisamment de sa « chère paresse » – une discipline de travail, nourrie de la chaleur revigorante du soleil, de la proximité avec la Nature et les montagnes, de la convivialité locale, des plaisirs de la chère et du vin…
Avec une verve inégalée, il compose dans ces années heureuses d’avant-guerre, outre Héliogabale et le cycle de mélodies Flors d’Occitania, quelques unes de ses œuvres les plus accomplies dont les remarquables Les muletiers devant le Christ de Llivia et Le retour des muletiers de sa suite pour piano Cerdaña, le recueil pour piano destiné aux enfants En vacances, ou encore la musique de scène pour la tragédie en 4 actes d’Émile Verhaeren Hélène de Sparte.
Par ailleurs, Céret est ville de musique. La très prisée Harmonie du Vallespir se produit tous les dimanches matin et soir sur le boulevard Saint-Roch. Sardanes, hymnes, cantates, et arrangements de musique catalane sont au répertoire du talentueux orphéon. Plus loin, sur le boulevard, on peut écouter les Cantayres catalans, coiffés de la barrelina, portant à la taille une large ceinture rouge et chaussés d’espadrilles légères, qui interprètent avec suavité de vieilles mélodies du terroir. A la Saint-Pierre ou à la Saint-Ferréol, l’un des trois cobles de la ville vient animer le grand bal de la place du Barri. Après le succès d’Héliogabale, il renouvelle une collaboration artistique avec la cobla d’Albert Manyach et des frères Cortie pour Hélène de Sparte, créée au Théâtre du Châtelet en 1912. Un nouvelle fois, les répétitions et les représentations engagent la rencontre inattendue des ménétriers catalans de Céret avec le gotha des scènes parisiennes dont, Madeleine Roch, la grande comédienne et sociétaire de la Comédie Française, Édouard de Max, le célèbre acteur et coqueluche du Tout-Paris, Ida Rubinstein, la danseuse-icône russe ou Louis Hasselmans, le chef d’orchestre de l’Opéra-comique.
La cantate Lo Cant del Vallespir, composée en collaboration avec le poète Jean Amade, incarne plus que toute autre œuvre l’esprit de ces années cérétanes. Ode à cette terre, au bonheur d’y vivre, aux musiques qui y sont jouées, au plaisir de composer retrouvé, Déodat compose l’œuvre pour une grande fête populaire dédiée à la catalanéité. Le dimanche 2 juillet 1911, dans les arènes de bois combles installées derrière la mairie, avec l’arrière-plan du cirque des montagnes, la chorale de 150 hommes et 70 femmes – des amateurs venus des chœurs d’Amélie-les-Bains, du Boulou, de Perpignan ou de Saint-Laurent ne connaissant pas le solfège, -, accompagnée par les 80 exécutants de l’Harmonie du Vallespir, entonne à plein poumon la cantate. L’accueil triomphant du public signe la pleine intégration de « Monsieur Déodat » dans la petite ville, qui en devient une figure importante et aimée, un « compatriote » dira Albert Manyach.
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Le travail artistique avec la cobla Cortie est une des illustrations de ce que le compositeur conjugue avec tant de naturel dans sa vie quotidienne et dans son œuvre : une abolition des frontières sociales autour de l’amitié et des arts, une mise à plat sans hiérarchie des cultures populaires et légitimes, des chansons villageoises et de la musique savante élitiste.
Le 4 janvier 1913, la naissance de sa fille Magali, immortalisée l’année de son premier anniversaire par la fameuse comptine Ma poupée chérie, consacre son union avec Henriette et couronne cette période faste.
Céret, la Mecque du cubisme
Le 8 juillet 1911, le sulfureux peintre espagnol Pablo Picasso, avec sa guenon Monina sur l’épaule et sa chienne Frika en laisse, pose à son tour son pied sur le quai de la gare de Céret. A 29 ans, Pablo, qui est déjà célèbre grâce à son talent exceptionnel et son art de la controverse, cherche à nourrir son regard de la lumière franche et inspiratrice du Midi. Son partenaire de cordée dans l’aventure de la révolution cubiste, Georges Braque, doit venir le rejoindre dans quelques semaines. Inspirés de Cézanne, des masques du continent noir et de la poétique des objets quotidiens, le tandem déconstruit depuis 1908 réalité et perspective, chefs-d’œuvre après chefs d’œuvre. La voie ouverte par le cubisme comporte encore de belles promesses. L’énergie créatrice levée n’est pas tarie. Les deux hommes le sentent.
Déodat et Manolo, camarades de l’époque du Bateau-lavoir, sont aux petits soins et arrangent l’installation du peintre espagnol. Pablo loge d’abord dans ce même Hôtel du Canigou où Déodat s’était installé l’année précédente. Bien vite, en prévision de la venue de sa compagne Fernande, le compositeur obtient du docteur Delcros que le couple soit accueilli au premier étage de sa superbe demeure d’une vingtaine de pièces d’habitation. L’artiste pourra travailler dans l’atelier que se partagent Frank Haviland et Manolo à la maison Alcouffe, proche du pont du Diable. Après l’arrivée de Braque et durant quelques semaines, les deux artistes, pinceaux en main, poursuivent ensemble leurs explorations picturales et s’attardent en particulier sur des entrelacs de bruns et de jaunes assombris. Picasso revient à Céret les étés 1912 et 1913. Introduction de papiers collés, de faux marbres, de textures de bois : plus de trois cent œuvres cubistes sont réalisées au cours de la période cérétane.
Déodat, plutôt que de s’être jamais inscrit dans une quelconque proximité artistique, émulation ou collaboration professionnelle avec Picasso, a avant tout nourri pour lui un profond sentiment d’amitié. Au-delà de l’anecdote, Déodat, Manolo et Haviland, en permettant ce rapprochement entre leurs extravagants amis de Montmartre et leurs fréquentations locales, sont à l’origine de l’éclosion à Céret d’une vie culturelle brillante et inattendue.
Certains Cérétans tel le riche négociant en vin Michel Aribaud, que rien ne prédestinait à un tel rôle, se prend au jeu et prend une part active à l’aventure au point de devenir un véritable mécène et collectionneur. La tradition initiée par Séverac et ses amis fait florès. Après Braque et Picasso, Juan Gris, Max Jacob, vient la seconde vague des Chaïm Soutine, Henri Matisse puis celle des Marc Chagall ou Jean Dubuffet qui, parmi de nombreux autres artistes de premier plan du 20e siècle, séjournent et peignent dans la capitale du Vallespir.
La veuve d’Aribaud, lègue à la ville en janvier 1934 la collection de son défunt époux qui comptait des œuvres de Juan Gris, Auguste Herbin, André Masson, Kisling, Manolo. C’est autour de ce pivot, enrichi des toiles collectées parmi les artistes de Céret, en particulier les dons importants de Picasso et Matisse, que sera créé le Musée d’art moderne de Céret et ses riches collections. Déodat, qui savait mieux que quiconque assembler amitié et arts, a contribué plus que tout autre à cette singulière histoire de plus d’un siècle qui a fait de Céret « la Mecque du cubisme ».
Chapitre 3Le chantre de la terre
La chanson populaire
Dans son travail créatif, le « musicien-paysan » s’inspire en particulier des chansons populaires, qui sont à ses yeux « l’élixir d’une race » et « l’âme d’un terroir ». Elles expriment les liens tissés entre un peuple et sa terre, autour des saisons et des climats, des travaux et des jours, des joies et des peines, des croyances et des mentalités… Le génie de ces créations impersonnelles et collectives est immémorial et transcende le temps. Il recèle une authenticité et une beauté dont est dépourvu l’art urbain et centralisé des compositeurs parisiens, animé par d’artificieuses quêtes esthétiques. Déodat n’est pas moins sévère à l’encontre de « l’immonde vulgarité boulevardière » de la chanson parisienne, également déracinée.
En disciple de Bordes et d’Indy, Déodat, comme tant de ses contemporains, s’est inscrit dans cette vague du folklorisme qui, depuis 1850, voyait dans la tradition, le moyen de régénérer le langage de la musique savante. Il a accompli quelques travaux de collectage et sa bibliothèque personnelle regorge de transcriptions manuscrites d’airs traditionnels occitans et catalans. Il a aussi rédigé des écrits savants sur la question et a contribué au Congrès du chant populaire de Montpellier, organisé par Charles Bordes en 1906.
Il a par ailleurs harmonisé avec goût divers timbres anciens pour la collection Vieilles chansons de France de l’éditeur Eugène Rouart. Certains de ces airs ont nourri le répertoire d’Yvette Guilbert, « la princesse de nos chansons de France », qui (…) après avoir illustré le café-concert, vient de consacrer tout son grand talent et son initiative à la chanson populaire. »
Pour autant, quand il compose, le fin connaisseur des traditions, en préfère l’esprit à la note. Plutôt que de recourir à des emprunts, il crée en faisant « la cour à cette belle paysanne qu’est la chanson populaire ». Guidé par cette muse imaginaire, et probablement par les réminiscences de son enfance en Lauragais, le subtil mélodiste tisse de délicates épures qui chantent un folklore décanté et réinventé. Il en cultive la fraîcheur, la spontanéité et les accents. Il ensemence sa musique de ces thèmes vivifiés du caractère mélodique des chants populaires, à qui il confie, en général, le rôle de principe générateur. Du levain de ces mélodies matrices, naissent la plupart des tableaux et parties de ses opéras ou suites pour piano.
La danse
A côté de la mélodie, et bien plus que l’harmonie, le rythme et ses variations sont un des éléments clés du langage de Déodat. Sa musique prend souvent forme dans une succession d’événements sonores aux contours rythmiques contrastés. quand ce ne sont pas l’orage ou le galop d’un cheval, la danse en est une source d’inspiration majeure. Endiablée, tourbillonnante ou chaloupée, le compositeur la convoque dans ses œuvres sous la forme de fêtes villageoises, évoquées en général avec le voile d’une distance mélancolique, où les éclats de voix et les volées de rires paraissent étouffés et lointains.
Déodat s’est en particulier intéressé à la Sardane, danse emblématique des Catalognes française et espagnole où femmes et hommes, pieds chevillés par des vigatanes (espadrilles), mains entrelacées et levées, se réunissent en une élégante ronde. A cette époque, la sardane s’est déjà patrimonialisée et réinventée en s’inscrivant dans une tradition écrite, sous l’impulsion de compositeurs tels Pep Ventura, Enric Morera ou Josep Serra, sans perdre son caractère de divertissement populaire.
Âme du peuple catalan qu’il chérit, populaire mais assez savante pour s’offrir aux appropriations artistiques, conjuguant une forme de gravité classique à la légèreté de la fête, Déodat ne pouvait que se passionner pour la Sardane qui hante sa production d’après 1910. On la voit évoquée, entre autres, dans la Bacchanale d’Héliogabale, dans les Ménétriers et glaneuses et les Fêtes de Cerdaña, dans le Cant del Vallespir ou encore dans Sous les lauriers roses.
La nature
Mais, la nature est sans doute l’énergie première qui vitalise et innerve l’œuvre de Séverac. Elle en est même le sens profond. Depuis son départ de Paris, Déodat, éloigné des discours, des systèmes et des écoles, ne souhaite plus recevoir pour seules leçons de musique, que celles issues de la nature : « Il travaillait devant une fenêtre ; de sa table où mille petites feuilles éparses recelaient la splendeur des floraisons futures, il voyait l’Albère profonde et bleue participer à toutes les magies de l’heure et de la lumière. Tu vois, me dit-il, en me montrant le paysage ardent tout patiné de crépuscule ; tu vois, ça, c’est la plus belle des sonates. » rapporte son ami le compositeur Joseph Canteloube.
Déodat s’adonne avec passion à de longues promenades solitaires à travers la campagne. Il en revient, l’œil absent, un peu hagard, désertant un temps sa cordialité habituelle, probablement habité par le magma d’impressions et de sentiments qui feront l’étoffe de sa prochaine composition. La symphonie ondoyante, frémissante et changeante, de sons, d’odeurs, de lumières et de formes, lui inspire sujet et matière. Elle lui prête aussi mouvements et formes. Les œuvres de Séverac sont bien souvent des flâneries champêtres en musique. Pittoresque, figuratif, imitatif, impressionniste ou symboliste, Déodat musarde. Au fil de sa promenade, il tisse un patchwork musical où sont croqués, suggérés ou célébrés, plantes et animaux, cloches et clocher, labours et semailles, tempêtes et grêles, nuages et astres, torrents et étangs…
Mais, Déodat, profondément croyant, aime par-dessus tout en la nature son mystère. A ses yeux, la musique seule, dans sa chiffration particulière, offre assez d’espace pour approcher ce vertige mystique.
Les cinq études pittoresques de Cerdaña sont un sommet dans l’expression de cette relation riche et émerveillée entre le compositeur, son pays d’adoption « béni des dieux », sa nature et son peuple.
Ami intime de Déodat de Séverac, né et mort à Toulouse, un de nos grands poètes toulousains. Il publia un premier recueil de poésie Le Jardin d’où l’on voit la vie, verlainien et symboliste, tandis que L’Age d’or, La Belle journée, Les Plaisirs et les Regrets ses autres recueils furent plutôt d’esthétique classique. Il publia de nombreux articles dans Les Marges, La Revue universelle, La Muse française, il fut l’animateur de revues et de cénacles où il accueillait les jeunes poètes. Il était très attaché à Toulouse et fut un défenseur acharné du patrimoine architectural toulousain : «Ce que j’ai de meilleur, pays je te le dois» déclarait-il. Peintre de talent lui-même, critique et amateur d’art, féru de sculpture, ami intime d’Aristide Maillol, il écrivit un excellent ouvrage sur Corot. Marc Lafargue recevait tous ses amis dans une belle demeure 1830 à St Simon. Ancien élève de l’Ecole des Chartes, il était à sa mort bibliothécaire à Toulouse.
Sculpteur et médailleur, élève de l’École des Beaux Arts de Toulouse, puis de l’École des Beaux Arts de Paris (1892) il y est l’élève d’Alexandre Falguière et d’Antonin Mercié, il obtiendra le Second Prix de Rome de gravure en médaille en 1902. Pendant ses études dans la capitale, Lamasson logera un temps avec Séverac et Boyer, 5 rue Michelet (5e arr.). Lamasson est l’auteur du buste de Déodat de Séverac qui décore le monument du compositeur à Saint-Félix-Lauragais et dont un autre exemplaire figure dans la Salle des Illustres de l’Ecole de Sorèze.
Poète occitan, membre de l’Escolo moundino et collaborateur de la Terro d’Oc, il publiera des recueils de poèmes en français et en langue occitane, Tryptique hymnaire, Hymne à Paris, A Toulouse et à Barcelone (1903), Ninarels (1904), Le Syrignon (1905), Poèmes d’Occitanie (1906), La Rezurgada, damb vinte – nou melodias de l’auteur (1908), La Restitution (1912).
Séverac écrira plusieurs mélodies en 1897-1898, sur des poèmes de Rey, Albada a l’estèla, les Huns, le Chevrier, les Cors, il écrira également des accompagnements pour des mélodies originales (chant seul) composées par Rey sur des paroles de Paul Redonnel.
Poète catalan né et mort à Céret, fils d’Adrien Amade, chef cantonnier de la ville et directeur des Chanteurs Catalans de Céret depuis 1905. Après des études secondaires au collège de Perpignan, Jean Amade monte à Paris poursuivre ses études au Lycée Henri IV puis à la Sorbonne, de 1896 à 1901, il y fut agrégé d’espagnol en 1904 et enseigna ensuite au Lycée de Montauban puis à celui de Montpellier (1905-1919), revenant toutefois passer ses vacances à Céret.
Il est l’auteur d’une œuvre poétique substantielle mais surtout d’essais critiques et d’un manifeste régionaliste, il fut l’un des fondateurs de la Société d’Études Catalanes. Jean Amade est le père de Louis Amade né en 1915, qui sera un parolier célèbre dans le monde de la chanson, il collaborera notamment avec Gilbert Bécaud, titre le plus connu de cette collaboration L’important c’est la rose.
Séverac écrira Lo Cant del Vallespir cantate pour solistes, chœur et orchestre sur un poème de Jean Amade.
Instituteur, il fut co-fondateur avec Antonin Perbosc de l’Escolo moundino en 1892, son œuvre en langue occitane est majeure par la force de son engagement en faveur de la renaissance de la culture occitane, il sera, toujours avec Perbosc, à l’origine de la normalisation de la graphie de la langue occitane, la co-fondation avec lui et un groupe de félibres languedociens en 1919 de l’Escolo occitana en sera l’étape déterminante.
A l’époque de sa rencontre avec Séverac, il était directeur de la revue Mont-Ségur (1894-1899). Quelques années plus tard il dirigea le Gai Saber (1919-1933). Il devint ensuite l’un des cofondateurs du Collège d’Occitanie et des Grilhs del Lauraguès (1924) dont la reine était Magali de Séverac, la fille unique de Déodat. Majoral du Félibrige en 1900, il était membre de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse.
Il faut citer ses recueils poétiques chantant la gloire de l’épopée occitane et son terroir lauragais : Lou Terradou (1895), Flors d’Occitania (1906), La Canson occitana (1908), Romancero occitan (1914), Lo flahut occitan (1926), Lo fablièr occitan (1930), Las oras cantairas (1931).
Pour plus de détails consulter le Dictionnaire des Auteurs de Langue d’Oc, de 1800 à nos jours, par Jean Fourié, Paris, Collection des Amis de langue d’Oc, 1994, p. 130-131.
Les Grilhs del Lauraguès publièrent deux cantiques de Prosper Estieu mis en musique par Séverac : Dius Poderos (N° 3) et Uèi subre de palha torrada (N° 6). Séverac a également composé La Canson pel cabalet sur un poème d’Estieu, cette mélodie en langue occitane est une de ses plus originales, construite sur un modèle rappelant dans l’esprit, les ballades germaniques de Loewe ou de Schubert (on peut y trouver une ressemblance avec le célèbre Erlkönig – le Roi des aulnes, même chevauchée et même fin tragique, la mort prenant la fiancée et non plus l’enfant), fin d’autant plus inattendue que lo cabalet, le petit cheval parait bien insouciant dans sa chevauchée paisible avant que le glas ne vienne l’arrêter.
C’est un paysan du Quercy, ses parents étaient des bordièrs, des fermiers, illettrés. Etudes primaires supérieures, Ecole normale, Il sera instituteur dans plusieurs villages du montalbanais, Labastide-de-Penne, Arnac-sur-Seye, Lacapelle-Livron, Laguépie, Comberouger, Lavilledieu-du-Temple, avant de devenir, en 1914, bibliothécaire de la Ville de Montauban jusqu’en 1936.
Dans chaque poste il approfondit sa connaissance de la langue d’Oc et recueille avec la collaboration de ses élèves regroupés en « société traditionniste » (51 élèves, filles et garçons, entre 1900 et 1908), le patrimoine oral : chansons, dictons et proverbes, légendes, contes… Ils notaient fidèlement, sans y rien changer, les récits en dialecte local…
En 1892 il est aux côtés, de Xavier de Ricard et d’Auguste Fourès, les félibres « rouges » du Midi, et de Prosper Estieu pour la fondation de l’Escolo moundino, dont il devient félibre majoral (Cigala de la libertat).
Elu maître ès Jeux Floraux de Toulouse en 1908, il participe avec Prosper Estieu à la fondation de l’Escola Occitana à Avignonet en 1919, cette école avait pour but, la première, de restaurer et de mettre en honneur l’écriture historique de la langue, selon la graphie des troubadours, en cela il est un des rénovateurs majeurs de la langue occitane, c’est lui d’ailleurs qui imposera le premier le vocable Occitanie et ses dérivés, il en deviendra Capiscòl (président) de 1939 à sa mort survenue à Montauban le 6 août 1944.
Perbosc ne sera jamais un tenant de l’art pour l’art ; il garde toujours la volonté de rendre à l’Occitanie le rang qu’elle a perdu au cours de l’histoire.
Parmi ses recueils de poèmes il faut citer : Remembransa 1902, Lo Got Occitan 1903, L’Arada 1906, Las Cansons del Pòple 1923, Lo Libre dels Auzèls 1924, Lo segond Libre dels Auzèls 1930. Perbosc a aussi publié de très nombreux recueils de contes populaires : Contes licencieux de l’Aquitaine : contributions au folklore érotique 1907, La Debanadora 1924, Contes populaires de la Vallée de la Bonnette 1924, Psophos 1925, Fablels, Contes vièls e novèls et Fablèls calhols 1936, Contes atal 2006…
Dans sa fonction de bibliothécaire de la ville de Montauban, il publiera de nombreuses chartes de coutumes de communes du Tarn et Garonne, son expérience d’instituteur lui inspirera un ouvrage didactique Les langues de France à l’école paru en 1926, récemment republié avec un corpus de « quelques autres textes sur la question choisis et présentés » par Hervé Terral professeur de sociologie à l’Université Toulouse- Le Mirail, Collection CAP AL SUD dirigée par Philippe Martel éditions du Trabucaïre Canet mars 2006.
Camille Soula fut l’artisan de l’amitié entre Séverac et Perbosc, les deux hommes ne s’étaient rencontrés qu’une fois à Foix dans l’Ariège, bien qu’appartenant à des milieux sociaux très différents, le premier aristocrate, croyant fervent, appartenant à la droite progressiste, le second fils de paysan, instituteur, anticlérical et homme de gauche, félibre « rouge », ils eurent l’intelligence de s’apprécier pour leurs œuvres respectives et leur idéal commun, l’amour de leur terroir. Le poète écrivit au musicien :
« Mon cher Trobaire, car ce mot convient au musicien créateur non moins qu’au poète[…], votre musique est originale, intensément vivifiée par le souffle populaire, évocatrice de l’âme des races, de ces races aventureuses dont les chevauchées passent dans vos rythmes. »
Lettre publiée in : Jean Bernard Cahours d’Aspry Frédéric Mistral et Déodat de Séverac, Le félibrige et la musique. Le Monde de L’Art et des lettres n° spécial, cahier n°2, Paris, novembre 2004.
Déodat de Séverac a dédié sa mélodie Les Huns sur un poème de Paul Rey au « très aimable maître Antonin Perbosc, son très enthousiaste admirateur. Déodat de Séverac. X 1898 ». Cette mélodie est inédite.
Originaire de Bagnac (Lot), ami proche de Déodat de Séverac, qui inspira sa démarche musicale, il s’est intéressé comme lui aux musiques traditionnelles qu’il collecta dans un ouvrage de référence Anthologie des Chants populaires français en 4 volumes, Paris, Durand, 1951. Son nom reste toujours attaché aux harmonisations subtiles dont il a habillé ses Chants d’Auvergne qui restent une pièce majeure du répertoire de musique vocale avec orchestre. On lui doit à l’exemple de Séverac un cycle de mélodies en langue occitane intitulé, L’Arada sur des poèmes du grand poète occitan Antonin Perbosc (1861–1944), ami de Séverac et coprésident avec lui de la Ligue Oc fondée en 1920 par Camille Soula et Ismaël Girard. En 1929 Joseph Canteloube rendit hommage à Séverac en lui dédiant une suite pour orchestre Les Lauriers dont la seconde des trois pièces intitulée A la mémoire d’un ami évoque directement Séverac. En 1931, à son initiative fut crée la Société des Amis de Déodat de Séverac. Joseph Canteloube mit en ordre la bibliothèque musicale de Séverac et séjourna longuement pendant la seconde guerre mondiale dans la maison familiale des Séverac à St Félix Lauragais, il écrivit enfin une biographie de Séverac qui fut éditée en 1984 à Béziers : Joseph Canteloube Déodat de Séverac, Société de musicologie, Béziers, 1984
Né le 8 septembre 1830 à Maillane entre Avignon et St Rémy de Provence, au Mas du Juge, il est le fils d’un paysan aisé. Il fait des études secondaires à Avignon où il acquiert une solide formation classique, il s’y passionne pour Virgile, Hésiode, Homère. Il passe son baccalauréat à Nimes puis va à Aix poursuivre des études de Droit. Très jeune, il écrit déjà en Provençal ce qui le fait remarquer par son jeune maître Joseph Roumanille, à Aix il fréquente les milieux provençalistes et fonde avec six amis dont Joseph Roumanille et Théodore Aubanel le 21 mai 1854 à Font Segugne le Félibrige avec pour mission : restaurer, défendre et promouvoir les langues du Midi de la France, soit en résumé sauver la langue d’Oc.
En 1859 parait éditée par Roumanille, la première édition de Mirèio, en provençal avec traduction française en regard par l’auteur, c’est Lamartine qui lancera le succès de l’ouvrage en lui consacrant le 40e de ses Entretiens en entier, de manière très louangeuse, « Tu es d’un autre ciel et d’une autre langue, mais tu as apporté avec ton climat, ta langue et ton ciel ! », succès qui ne se démentira plus jusqu’à nos jours.
Mistral publiera ensuite Calendal (1867), Lis isclo d’Or – les îles d’or ( 1876), Nerto (1886), Lou Tresor dóu Felibrige – le Trésor du félibrige (1886) monument lexicographique élevé à la langue d’Oc, La Rèino Jano – La Reine Jeanne ( 1890), Lou pouèmo dóu Rose-Le poème du Rhône (1897), Memòri e Raconte – Mémoires et récits (1906), Lis Oulivado – Les Olivades (1912) …
En 1904 Mistral reçoit le Prix Nobel de littérature pour son œuvre en langue d’Oc, honneur suprême, légitimation d’une démarche et reconnaissance de la langue d’Oc au sein des grandes langues universelles. Mistral meurt à Maillane le 25 mars 1914.
En 1854, Mistral et les poètes de langue d’oc créent le Félibrige et choisissent Sainte Estelle (Santa Estèla) pour patronne. Le poète provencal honora de sa présence à plusieurs reprises les fêtes de la Santa Estèla, notamment celle du dimanche 11 mai 1913 à laquelle Déodat assiste.
Félibresse née à Toulouse, ses œuvres ont été maintes fois primées lors des Jeux floraux de l’Escolo Moundino dont elle fut membre et dont elle a présidé des « Cours d’Amour ».
Elle a publié dans l’Armanac de Lengadoc e de Gasconha ainsi que dans La Terra d’Oc.
En 1911, de grandes fêtes félibréennes furent organisées à Rabastens ( Tarn) lors de l’inauguration du monument à Augé Gailhard (1540 ?– 1595 ) surnommé Lou roudié (charron) de Rabastens, poète languedocien du 16ème siècle né à Rabastens. A cette occasion fut créé le dimanche 13 août Muguéto conte languedocien lyrique et dramatique de Marguerite Navarre pour lequel Séverac écrivit une musique de scène (intermède et chœurs), aujourd’hui perdue. La pièce seule avait été primée aux Jeux floraux de l’Escolo moundino en 1906 et avait reçu un bel éloge de Mistral : « Félicitations pour Muguéto pure de sentiments et de langue. ».
Séverac écrivit également la mélodie Albado – Aubade sur un poème de Marguerite Navarre.
Le plus grand poète toulousain à l’époque où Toulouse, « seconde ville du premier royaume d’Europe » est capitale des Etats du Languedoc.
Fils d’un Maître-chirurgien, d’origine gasconne, il fait ses études au Collège des Jésuites puis à l’Université de Droit. Mais c’est poète qu’il veut être et qu’il sera, il fait partie du courant poétique libertin des années 1600, mais le cénacle poétique toulousain est alors uniquement tourné vers la langue française alors que Godolin ne rêve que langue d’Oc. Les protections du gouverneur du Languedoc Henri de Montmorency et d’Adrien de Monluc vont enfin lui permettre de s’exprimer dans sa langue de prédilection, en 1617 il publie Le Ramelet moundi, où éclate sans frein toute sa fantaisie que seules la liberté et la richesse de ton et de mots de la langue d’Oc lui permettent de traduire. Godolin devient d’un coup la voix toulousaine tant des grands seigneurs que du petit peuple, 1621 voit l’édition d’une Segoundo Floureta du Ramelet.
Mais le pouvoir central de Richelieu tolère mal cet excès de liberté intellectuelle et matérielle que prend le Languedoc sur la voie de la sécession, une reprise en main est décidée et accomplie avec pour point d’orgue la décapitation « pour l’exemple » à Toulouse du Duc de Montmorency dans la cour du Capitole pour crime de lèse majesté le 30 octobre 1632. Désormais il sera plus difficile d’assurer sa fidélité à l’esprit et au comportement libre face au pouvoir étatique centralisateur. Cependant deux nouvelles éditions des Obros de Peire Godolin avec l’addition d’une Tresiemo floureto ont lieu respectivement en 1637 et 1638 et Uno floureto noubelo voit enfin le jour en 1647.
Godolin meurt dans la misère en 1649. Il devient aussitôt un mythe, pour rappeler auprès de Paris une identité qui légitime une autonomie, il devient au fil du temps le pont entre les troubadours et Mistral et la renaissance occitane du XIXe siècle. Marcela Delpastre la grande poétesse du Limousin dira qu’il nous a donné la « gloire d’être nous-mêmes. »
Peintre et sculpteur catalan, né à Barcelone le 30 avril 1872, Manolo était le fils naturel d’un officier de carrière castillan et d’une mère barcelonaise, Anna Hugué. Manolo était le grand ami de Picasso, ils s’étaient connus à Barcelone en 1898, au fameux cabaret du vieux Barcelone « Els Quatre gats ». Manolo était son aîné de dix ans et le seul dont Picasso acceptait les critiques, les taquineries et les contradictions.
En 1902, par l’intermédiaire du poète Léon-Paul Fargue, Séverac fera la connaissance de Manolo. La rencontre a lieu entre deux ou trois heures du matin au Rat qui n’est pas mort, un café de Montmartre, place Blanche,« Comme Fargue lui avait parlé de moi et à moi de Déodat, ça a été tout de suite une grosse amitié, car par l’intermédiaire de Fargue, la sympathie existait déjà » dira Manolo. Séverac et Manolo se retrouvaient dans les bars du Quartier latin : le Vachette, boulevard Saint-Michel, où Moréas avait ses assises, La Closerie des Lilas, au cours des soirées de « Vers et Prose », près de Paul Fort et d’André Salmon, au Café de Versailles, rue de Rennes, près de la Gare Montparnasse, au Lapin Agile, à Montmartre.
Quand Picasso s’installera définitivement à Paris en 1904, Manolo le présentera à Séverac et là encore une amitié profonde se nouera. Manolo quittera Paris en juillet 1909, en compagnie de Frank Burty-Haviland, ils s’arrêteront d’abord trois mois à Bourg-Madame, ils ne se fixeront définitivement à Céret qu’en janvier 1910, Séverac les rejoindra en février, 26 une fois la création et les représentations de son Cœur du moulin terminées à l’Opéra-Comique à Paris. Tous les trois vont vivre à Céret en une sorte de phalanstère autour du travail et de l’amitié, ils inciteront leur grand ami Picasso à les rejoindre, celui-ci viendra passer avec eux l’été 1911, puis les mois de mai et juin 1912 et le printemps et une partie de l’été 1913. Braque, Juan Gris et de nombreux amis de la « Bande à Picasso » Max Jacob, André Salmon les peintres catalans Sunyer, Pichot, Casanovas, viendront leur rendre visite. Céret deviendra la « Mecque du cubisme » selon l’expression du poète André Salmon. A la mort de Séverac, Manolo sera chargé d’orner d’une sculpture le monument élevé à la mémoire de Séverac à Céret, il choisira de ne pas faire un buste mais une « Belle catalane » symbolisant dans sa simplicité classique l’inspiration méditerranéenne et terrienne du compositeur, figuré seulement en médaillon sur la stèle. Le monument fut inauguré le dimanche 27 avril 1924.
Peintre, fils des porcelainiers de Limoges, il était également le petit-fils de Philippe Burty, ami de Delacroix et protecteur des impressionnistes. Très jeune, il était passionné de peinture et de littérature. C’est le célèbre pianiste Ricardo Viñes, intime s’il en est de Séverac presqu’un frère pour lui, qui le présentera en 1904 à ce dernier qui devient son ami et confident et l’encourage dans sa vocation d’artiste peintre. A dix-huit ans, lorsque Frank sera sorti de l’école, Séverac l’incitera même à prendre des cours de peinture et comme Haviland admirait Picasso, il l’introduira au sein de la « Bande à Picasso » qu’il fréquentait lui-même souvent et qui vivait au Bateau Lavoir à Montmartre Place Ravignan. Fernande Olivier, la compagne de Picasso à cette époque dit de Haviland dans son livre de souvenirs, Picasso et ses amis, Paris, Stock, 1933: « Il devint son adepte, son élève le plus passionné ». Mais Haviland, bien que tenté par la modernité de Picasso s’aperçut très vite que là n’était pas sa voie. En 1906 il était encore dans la lignée des impressionnistes et évoluera vers une peinture presque naïve, par la représentation minutieuse du détail. Collectionneur d’art nègre, il permit à Picasso de trouver chez lui des spécimens précieux pour ses recherches.
Par la suite, souffrant de phtisie il cherchera un climat plus propice au soleil, c’est ainsi qu’il s’installera à Céret en compagnie de Manolo, espérant qu’au sein de la nature méditerranéenne il retrouverait les forces et la santé qu’il avait perdues en ville, en outre il se rapprochait de lieux de cure réputés pour sa santé. L’exemple de Séverac qui était lui-même retourné en 1907 ses études terminées, dans le Sud à St Félix ne fit qu’appuyer sa décision, « La personne qui m’incita le plus à venir dans le Midi de la France fut Déodat de Séverac. A Paris, il me parlait toujours de la même chose, et me montrait la nécessité de partir. J’étais probablement plus convaincu que lui de cette nécessité. Il faut chercher, disait-il, un coin agréable des Pyrénées, proche de la frontière d’Espagne. ».
Haviland se mariera à Céret en 1914 avec une fille du pays et y restera jusqu’à sa mort en 1971. Séverac lui dédiera Les Muletiers devant le Christ de Llivia la pièce la plus connue de sa suite Cerdaña.