Médecine du futur

En résumé

La médecine contemporaine vit l’essor de l’industrie pharmaceutique, dont les importants succès (antibiotiques, antiviraux, anxiolytiques, antidépresseurs) firent oublier d’autres médicaments, véritables poisons qui eurent pour conséquence la création de la pharmacovigilance.

Aujourd’hui comme hier, le savoir médical n’est pas un savoir figé, mais un long cheminement. En parcourant l’exposition « les impasses de la médecine », en découvrant les sentiers abandonnés, on mesure le chemin parcouru pour arriver à la médecine actuelle.

Chapitre 1Le docteur Voronoff et la « quête de l’éternelle jeunesse »

Étrange destin que celui de Serge Voronoff (1856-1951). Ce chirurgien français d’origine russe devint célèbre pour sa technique de greffe de tissus de testicules de singe chez l’homme dans les années 1920 et 1930, puis connut la disgrâce et passa à la postérité.

Agence Rol, Serge Voronoff, photographie de presse, 1919, Gallica

Le Docteur Voronoff apprit les techniques de transplantation d’organes auprès d’Alexis Carrel (1873-1944), chirurgien français prix Nobel de médecine. Il étudia en Égypte les effets retardateurs de la castration sur les eunuques puis pratiqua des centaines de transplantations de testicules sur du bétail, notant un regain de vigueur voire un rajeunissement.

Caricature de Serge Voronoff, 1866, Wellcome collection, Londres

Il élabora alors un traitement contre la sénilité, basé sur la transplantation de glandes de singe dans le scrotum du receveur. La finesse des échantillons devait fusionner avec le tissu humain. Voronoff prétendit ainsi obtenir chez ses patients un rajeunissement et une amélioration de la mémoire, de l’endurance, une meilleure vision, une amélioration de la durée de vie et du désir sexuel.

Le Petit journal illustré, 22 octobre 1922, p. 1, Gallica

Cette technique chirurgicale remporta un grand succès en France et aux Etats-Unis. Plus de trois mille hommes furent greffés dont quelques personnalités. Grâce à son remède, il s’enrichit comme en témoigne l’ouverture de sa clinique particulière, de sa ferme à singes et de son hôtel particulier. En 1923, c’est la consécration, près de sept cents des plus grands chirurgiens du monde l’applaudissent au Congrès International des Chirurgiens de Londres. On retrouve alors Voronoff dans les journaux, dans des romans (The Adventure of the Creeping Man par Sir Arthur Conan Doyle), dans des chansons et même des films (bande originale du film The Coconuts des Marx Brothers) !

Henri Armengol, La méthode du docteur Voronoff, affiche, 1929, Gallica

Dans les soirées à la mode, ou lors des cocktails « Glande de singe », on portait des manteaux en peau de singe : « la peau de singe pour madame, les glandes pour monsieur. »


Voronoff transplanta aussi des ovaires de singes chez des femmes, des ovaires humains dans des singes femelles, puis il essaya d’inséminer du sperme humain dans le singe.

Agence Rol, Opérations du docteur Voronoff, pratiquées sur des moutons, photographie de presse, 1924, Gallica

Cependant, la découverte de la testostérone en 1935 rendirent les théories de Voronoff caduques. Aucune des opérations de xénogreffe n’apportait les résultats annoncés. De plus, on constata qu’un tissu animal inséré dans un humain tend plutôt à être immédiatement rejeté. Curieusement, cela signifia que les nombreux patients reconnaissants du Docteur Voronoff, ne durent leur rajeunissement, ainsi que tous les autres bienfaits de la greffe, qu’à l’effet placebo. Ses thèses furent alors reléguées au rang de supercheries. À sa mort, en 1951, il est considéré comme un charlatan.

Agence Rol, Docteur Voronoff, photographie de presse, 1923, Gallica

Dans les années 1990, la réputation de Voronoff changea de nature. L’un des plus vieux journaux médicaux d’experts au monde, The Lancet, suggéra que le dossier Voronoff soit réexaminé et que l’étude des glandes de singe soit approfondie. En 1999, des chercheurs émirent l’hypothèse que ces greffes de tissus de singe aient pu faire passer le virus du sida du singe à l’homme. Finalement, en 2005, Voronoff fut présenté comme le précurseur des techniques anti-âge modernes de supplémentation hormonale.

Chapitre 2L’affaire Thalidomide, le scandale des années 1960

Boîte de Thalidomide, vers 2006, photographe : Stephencdickson, WikiCommons

L’affaire de la thalidomide fut la pire catastrophe sanitaire de l’après guerre. Ce médicament était vendu avec succès de 1957 à 1961 comme tranquillisant, sédatif et anti-nauséeux, notamment chez les femmes enceintes. Il fut commercialisé par 68 marques différentes et présent dans 55 médicaments différents : Grippex contre la grippe, Contergan comme hypnotique, Distaval comme antifongique, etc.

Boîtes de thalidomide « Distaval forte », distribué par The Distillers Co. Ltd., 1958-1962, Royaume-Uni, The Board of Trustees of the Science Museum, London, WikiCommons / Boîte de Contergan, entre 1957 et 1961, photographe : Lämpel, WikiCommons

Synthétisée en 1953 en Allemagne de l’Ouest puis mise sur le marché en 1957 par l’entreprise pharmaceutique Chemie Grünenthal GmbH, la thalidomide fut vendue principalement en Allemagne et en Grande-Bretagne. En France, la loi instituait un contrôle strict sur les médicaments suite au scandale du Stalinon et la lenteur de l’administration empêchèrent sa commercialisation.

Justice Magazine, n° 21, janvier 1956, page de titre, Bibliothèque de Toulouse, P 4888

La thalidomide était présentée comme substitut aux barbituriques. Ces derniers, utilisés depuis le début du siècle, avaient en effet acquis une mauvaise réputation à cause de leurs effets secondaires, et en particulier leur toxicité en cas de surdose. En comparaison, il était impossible de se suicider avec la thalidomide, même en avalant une boîte entière de cachets. Cet aspect sécuritaire et les effets anti-nauséeux de la thalidomide ont amené Chemie Grünenthal à promouvoir son utilisation chez les femmes enceintes. Malheureusement, ce que l’on ne savait pas à l’époque c’est que l’exposition du fœtus à la thalidomide pouvait causer de graves malformations.

Malformation congénitale du pied, effets du thalidomide, ca 1960, Otis Historical Archives National Museum of Health and Medicine, WikiCommons

Le corps médical constata dès 1960 l’apparition de graves névrites, puis, dès novembre 1961, une recrudescence tout à fait anormale de naissances de bébés difformes avec absence ou malformation des bras et des jambes, du tube digestif, du cœur, ou encore de l’appareil génito-urinaire (l’échographie n’existant pas encore).

Malformations dues à l’ingestion de thalidomide, années 1960, dans : Transaction of the American Ophthalmological Society, 81; 623-674 (1991), National Institute of Health, WikiCommons

Grünenthal nia tout d’abord, s’appuyant sur les résultats de ses tests sur des rates. On imputa ces malformations aux essais nucléaires, aux rayons X et autres radiations. Ce n’est qu’en 1961 qu’un lien de causalité fut finalement établi : la thalidomide ne produit aucun effet chez les animaux classiques de laboratoire, seuls le cheval et l’homme sont affectés par ses effets tératogènes. Un seul comprimé pris durant la grossesse suffit à causer des dommages irréversibles aux embryons. L’entreprise retira alors du marché le médicament, entre fin 1961 à 1963, selon les pays. S’en suivirent ensuite de nombreux procès. Elle présenta ses excuses aux familles des enfants victimes en 2012.

Le nombre d’enfants nés avec des malformations dues à la thalidomide à travers le monde est estimé à 15 000. S’y ajoutent des dizaines de milliers d’avortements spontanés et des milliers de personnes qui n’eurent qu’une légère malformation, non déclarée. Des prothèses furent développées spécialement pour ces « enfants thalidomide ».

Paires de prothèses fabriquées pour Tracey Baynam, durant son enfance et son adolescence, 1971, Royaume-Uni, The Board of Trustees of the Science Museum, Londres, WikiCommons
Prothèse fabriquée pour un « enfant thalidomide », 1961-1965, Royaume-Uni, Science Museum, Londres, WikiCommons

Ce scandale a été déterminant dans la mise en place de la pharmacovigilance et pour un encadrement plus strict des nouveaux médicaments. Aujourd’hui la thalidomide est de nouveau utilisée de façon très contrôlée pour son efficacité au niveau du système immunitaire contre la lèpre, le lupus érythémateux, le cancer de la moelle osseuse ou encore la maladie de Crohn.

« C’est la grandeur de l’homme de savoir tirer parti de toutes les expériences, fussent-elles malheureuses. »

Professeur Halpern, spécialiste de la thalidomide (1962)

Chapitre 3L’affaire Dépakine, le scandale du 21e siècle

Boîtes de Dépakine (acide valproïque / valproate de sodium), photographie Marine Martin, avec son aimable autorisation

La Dépakine est l’un des plus retentissants scandales sanitaires que la France ait connu ces dernières années. Mis sur le marché en 1967, ce médicament est très efficace contre l’épilepsie. Sous le nom de Dépakote et Dépamide, il est aussi commercialisé contre les troubles bipolaires depuis 1999.

La famille Dépakine, Dépakote, Dépamide et autres, 2022, photographie Frédéric Gaudet, avec son aimable autorisation / Cachets de Dépakote, 500 mg ER, 2022, WikiCommons

La lanceuse d’alerte Marine Martin s’alarma sur les effets de ces médicaments sur la grossesse dans les années 2000. En 2002, son fils naquit avec des malformations et des troubles neurocomportementaux, elle chercha alors à en comprendre la cause. Cette mère de famille épileptique découvrit en 2009 sur le site internet du Centre de Recherches sur les Agents Tératogènes que la Dépakine pouvait être responsable de graves malformations (10% des naissances) et de troubles neurologiques graves dont l’autisme (jusqu’à 40%) chez les bébés exposés dans le ventre de leur mère.

Grossesse et Dépakine, 2015, photographie Marine Martin, avec son aimable autorisation

Ces effets étaient pourtant connus depuis 1982. Mais une seule mise en garde pour le grand public figurait sur la boîte de médicament : « en cas de grossesse prévenez votre médecin ». Commença alors un long combat pour la reconnaissance de la dangerosité du produit et la responsabilité du laboratoire Sanofi. Sonnant l’alerte, Marine Martin obtint la modification des notices d’utilisation, la création d’un pictogramme alertant les dangers sur les boîtes de médicaments et l’inculpation du laboratoire. Son association, l’Apesac, mena la première action en justice de groupe en matière de santé en France.

Boîtes de Dépakine, 2015, photographie Marine Martin, avec son aimable autorisation

En janvier 2022, le laboratoire Sanofi a été reconnu coupable de « défaut de vigilance et d’information sur les risques de son médicament Dépakine pour le fœtus en cas de grossesse ». Il y aurait entre 15 000 et 30 000 victimes en France. En avril 2022, il est suspecté au Royaume-Uni d’être la cause de handicap chez 20 000 bébés.

Chirurgien français d’origine russe. Il est devenu célèbre, dans les années 1920-1930, pour sa technique de greffe de tissus de testicules de singe chez l’homme afin de rajeunir la peau. Au fil de l’intérêt du grand public et de son renom, il passa du statut de personnalité respectée à celui de savant fantasque, voire de charlatan.

Chirurgien et biologiste français. Pionnier de la chirurgie vasculaire et cardiaque, il fut lauréat du Prix Nobel de physiologie en 1912. Il fut renommé grâce à son expérience sur un cœur de poulet battant in vitro pendant un temps très supérieur à la vie d’un poulet.

Homme châtré qui gardait les femmes dans les harems.

En médecine, une transplantation ou greffe est une opération chirurgicale consistant à remplacer un organe malade par un organe sain, appelé « greffon » ou « transplant » et provenant d’un donneur.

La thalidomide est un médicament sédatif apparu à la fin des années 50, qui fut à l’origine d’une tragédie d’envergure mondiale. Le médicament a notamment été prescrit à de nombreuses femmes enceintes afin de combattre la nausée du matin. Il fut plus tard révélé que le médicament causait des ravages irréversibles au fœtus et des milliers d’enfants naquirent ainsi avec de graves malformations.

Le Stalinon est un ancien médicament conçu dans les années 1950 pour soigner les infections à staphylocoques. Il est retiré du marché lorsque l’on s’aperçut de sa toxicité comme des troubles neurologiques, des œdèmes cérébraux ou des paralysies.

Les barbituriques appartiennent à une famille médicamenteuse agissant comme dépresseurs du système nerveux central. Ils sont utilisés en anesthésie ou bien pour leur effet sédatif ou leurs vertus anticonvulsivantes. Ils sont de nos jours beaucoup moins prescrits en raison de leurs effets indésirables, du risque d’abus, et de l’arrivée sur le marché de molécules à l’action comparable mais aux effets secondaires réduits.

Lésion inflammatoire d’un nerf.

Substance susceptible de provoquer un développement anormal de l’embryon.

Lançeuse d’alerte française concernant les effets de la Dépakine durant la grossesse. Elle est présidente de l’association d’Aide aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anticonvulsivant (« APESAC »). Elle est par ailleurs patiente experte à l’ANSM et membre du collège des conseillers de la revue Prescrire.