Miroirs dans l'eau

Les œuvres et leurs créateurs

Miroirs dans l’eau

Livre pauvre réalisé par Carole Carcillo Mesrobian (poétesse) et Ghislaine Lejard (artiste)

« Le collage est par nature une superposition de strates référentielles. Il n’y a pas une image, mais des fragments d’images qui se superposent pour en former une autre. Ainsi à la sémantique offerte par cette composition faite d’éléments intrinsèquement signifiants s’ajoute celle de chacun de ces morceaux. Les collages de Ghislaine Lejard, à partir desquels j’ai composé mon texte, ont été élaborés de cette manière, en agençant des bribes de représentations et des plages de couleur bleues et blanches. La forme donnée aux parties assemblées évoque une vague et un rocher sur lequel se dresse un phare.

Cette composition laisse apparaitre différents mouvements. Tout d’abord celui de l’eau, des vagues, et de la mer. Ces superpositions montrent aussi l’avancée du temps, évoquée par les couches additionnées de papier sur lequel se greffent différentes représentations et des bleus qui composent la forme aux contours bruts et dentelés. Métaphore des jours qui passent, des années, et des siècles, cet effeuillage possible du sens raconte les passages calendaires itératifs mais aussi l’immuabilité des éléments : promontoire et phare, mer et oiseaux, travaillés à partir d’autres images qui participent de cette élaboration sédimentaire. Le collage est donc, dans cette acception de démultiplication sémantique et de brouillage référentiel, vecteur de sens inédits particulièrement propice à supporter l’écriture poétique.

Cette dernière opère de manière similaire. En juxtaposant des mots de manière fortuite, qu’il s’agisse d’une mise en œuvre paradigmatique ou syntaxique, elle ouvre le signe à d’autres acceptions que celles usuelles qu’opère son emploi pragmatique opéré dans la langue. Elle crée des images elle aussi, aptes, comme celles élaborées par les collages, à motiver l’imaginaire et à supporter la création de significations inédites, tout comme l’image formée d’images laisse apparaître des sens renouvelés, jamais similaires et ouverts à chaque fois à une réception différente. Mon texte tente donc de restituer la posture de l’artiste et de rendre compte de ces multiples étapes vecteurs de polysémie, ainsi que de l’acte de création lui-même. J’ai souhaité rendre compte de cet acte intuitif et solidement ancré sur des savoirs faire qu’est le geste de l’artiste. Les mouvements du texte ont été élaborés en corrélation avec ceux des images, pour non pas l’illustrer mais pour ouvrir à des lectures renouvelées de l’ensemble, tantôt le poème est la vague qui rencontre le phare, tantôt les couleurs ouvrent à la réception du poème en venant motiver le surgissement d’images crées par le travail de la langue. En ce sens, dans cette multiplicité sémantique, le collage et le poème déstructurent l’univocité des représentations et amènent à la création d’un sens inattendu autant qu’inédit. C’est donc ce que j’ai souhaité représenter, en collant le langage en quelque sorte, c’est-à-dire en superposant les couches sémantiques pour rendre compte de ce que fait le collage qui lui-même est une poésie de l’image. »

C. Carcillo Mesrobian

Carole Carcillo Mesrobian est poète, critique littéraire, revuiste, performeuse, éditrice, et réalisatrice. Elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secrétaire générale des éditions Transignum et gère le site La Multinationale poétique depuis 2019. Depuis 2021 elle produit et anime l’émission radiophonique littéraire L’Ire Du Dire sur Radio Fréquence Paris Plurielle. Elle dirige les éditions Oxybia depuis 2022.
Elle est l’auteure de plus d’une dizaine de recueils, dont récemment en 2020 Agencement du désert, à Z4 éditions, Octobre, avec Alain Brissiaud, chez PhB éditions ; en 2021 nihIL, aux éditions Unicité, et en 2022 De nihilo nihil, chez Tarmac ainsi que L’Ourlet des murs aux éditions Unicité.
Elle participe à de nombreuses anthologies et a publié des textes poétiques, mais aussi des textes critiques sur la littérature et l’art, en revues papier et numériques. Elle est l’auteure de la quatrième de couverture des Jusqu’au cœur d’Alain Brissiaud, et des préfaces de Sable de Marilyne Bertoncini et de Femmes conserves de Bluma Finkelstein.

Son site : https://carolecarcillomesrobian.com/

© Yvon Kervinio

Collagiste, Ghislaine Lejard a participé à des expositions collectives en France et à l’étranger et a réalisé des expositions personnelles. Ses collages illustrent des recueils de poésie, ils sont présents en revues papier et numériques et dans des ouvrages consacrés à l’art du collage. Ses œuvres sont exposées dans des collections privées et des musées. Elle crée des livres d’artiste et des LP (Livres Pliages) ; elle a aussi réalisé des livres pauvres pour les collections de Daniel Leuwers, en collaboration avec des poètes et des plasticiens français et étrangers.
Elle a publié plusieurs recueils de poésie, a participé à des anthologies et elle est présente dans de nombreuses revues. Elle pratique aussi aussi la photographie. Certaines de ses photos ont été exposées et publiées en revues numériques. En 2011, elle a été élue membre de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire.

Son site : http://ghislainelejard.com/