Petite histoire de la photographie dans le livre pour enfant

En résumé

L’exposition « Clic Clac, la photographie dans la littérature jeunesse », se tenant à la médiathèque José Cabanis (Toulouse) du 16 mars au 19 septembre 2021, offre l’occasion d’explorer la diversité des imagiers, abécédaires et albums pour la jeunesse illustrés par la photographie.
Parcourez la petite histoire de ces livres qui témoignent de l’émergence en France d’un genre spécifique de photolittérature pour enfants, malgré les réticences d’utilisation dont le medium a pu faire l’objet au fil du 20e siècle, avant de poursuivre votre découverte d’albums photographiques dans les chapitres suivants.

Au tout début de son histoire, la photographie est d’abord envisagée comme marqueur de réel dans la littérature. Découvert par Nicéphore Niépce en 1827, amélioré par Louis Daguerre en 1839, le medium a bouleversé la représentation du monde puisqu’il a permis pour la première fois de capturer un instantané de réel.

Contrairement aux pays anglo-saxons où la photo est présente dès la fin du 19e siècle dans les livres pour la jeunesse, l’offre se diversifie en France plutôt au fil du 20e siècle. L’illustration photographique est surtout privilégiée à la fin du 19e pour les représentations du monde, que celles-ci témoignent d’un quotidien proche ou d’un mode de vie lointain et plus exotique. La photo favorise une adhésion plus forte du jeune lecteur grâce à l’insertion d’éléments issus de la réalité dans la fiction.

Le testament d’un excentrique de Jules Verne
Hetzel, 1862 – Roman comportant des illustrations de Georges Roux ainsi que 35 photos des États-Unis

Utilisée à partir des années 1930 dans des ouvrages à visée pédagogique, la photographie connaît une période faste dans les années 1950-1960 : des albums narratifs proposés par de grands photographes ou des éditeurs engagés se multiplient.

Photographie de Ylla utilisée pour l’album Le petit éléphant, texte de Paulette Falconnet, Éditions La Guilde du livre / Clairefontaine, 1955 – ©YLLA/GAMMA RAPHO

Cependant, malgré des réussites remarquables, les réticences à l’usage de l’illustration photographique restent la norme. La photo présenterait l’inconvénient, en plus d’un coût de fabrication plus élevé, d’être peu lisible par les enfants, notamment lorsqu’il s’agit de clichés en noir et blanc. Le medium dans sa définition la plus courante opère une rupture, elle est une capture d’un temps et d’un espace donnés, alors que le livre s’envisage dans une continuité narrative.

Les éducateurs ou éditeurs lui reprochent donc de figer la réalité d’une part et de confronter les enfants à une violence du monde sans filtre d’autre part. Elle ne donnerait ainsi, selon eux, qu’une représentation brute du monde sans distanciation possible. La photographie, en clair, ne stimulerait pas l’imaginaire de l’enfant en offrant une vue « plate » ou brutale du réel.

Les albums photographiques restent donc minoritaires dans le champ de la littérature jeunesse. Malgré l’édition d’albums de grands photographes et la diversité des propositions au fil du 20e siècle, l’idée perdure qu’une photographie dans le livre pour enfants ne peut être aussi symbolique qu’une image graphique.

En ce début du 21e siècle cependant, la photolittérature s’impose comme un genre. Elle désigne les ouvrages écrits par des auteurs à partir de photographies, ceux où les photographes créent à partir d’un récit, et ceux dont récit et photographies sont réalisés par une seule et même personne : elle offre ainsi un espace à une multitude de possibilités créatives.

Les imagiers se doublent par exemple d’une dimension sensible et poétique dans les albums de Tana Hoban et de Claire Dé ; des maisons telles « Passages piétons éditions » ou encore « Où sont les enfants ? » ont inscrit la photographie au cœur de leur démarche éditoriale ; la maison spécialisée dans l’édition photographique Poetry Wanted décline dans sa collection pour la jeunesse « Qui a vu ? » des imagiers ludiques à partir de photographies anciennes… Des albums mêlent illustrations graphiques et photographies, jouent des mises en scènes, des photomontages dans tous les genres : imagiers, albums narratifs, recueils de poésie… Le genre de photolittérature pour la jeunesse est également l’objet d’études : les articles et recherches universitaires se multiplient, comme en témoigne par exemple Miniphlit, carnet de la chercheuse spécialiste du domaine en France, Laurence Le Guen.

Aujourd’hui, dans un monde saturé d’images et d’écrans, la photographie se révèle être un medium capable de susciter l’imaginaire des enfants, au même titre que l’image graphique. La photolittérature permet ainsi à l’enfant d’entrer dans l’art, mais aussi d’aiguiser son regard pour comprendre, décrypter, réinventer le monde autour de lui.

Imagine : c’est tout blanc…, Claire Dé, Les Grandes Personnes, 2015

Quelques repères chronologiques

  • 1820 : Nicéphore Niépce capture une vue des toits de sa maison
  • 1839 : Daguerre met au point son daguerréotype et offre librement son invention au monde
  • 1862 : Hans Christian Andersen publie Fotograferede Bornegrupper, de courts poèmes illustrés des photographies de mises en scène d’enfants prises par Harald Praetz
  • 1865 : Le roman de Jules Verne Le testament d’un excentrique est illustré de photographies de lieux réels
  • 1903 : La journaliste féministe Séverine publie Sac à tout chez Félix Juven
  • 1930 : Les albums photographiques se multiplient dans le domaine de l’édition pour la jeunesse : Regarde de Sougez, Alphabet de Pierda…
  • 1937 : Un livre d’artiste pour les enfants Le Cœur de Pic de la poétesse Lise Deharme et de la photographe proche des surréalistes Claude Cahun, est publié par l’éditeur José Corti
  • 1950 : des maisons d’éditions (La Guilde du livre, Nathan…) publient des albums photographiques initiant pour deux décennies une période faste de photolittérature : les albums d’Ylla, d’Albert Lamorisse, la collection « Les femmes travaillent »…
  • 1980 : des éditeurs novateurs renouvellent l’imagerie pour la jeunesse : Le Sourire qui mord publie des ouvrages illustrés de photographies Jérémie de bord de mer (1984), La mémoire des scorpions (1991) ; la collection « Monsieur Chat » chez Grasset invite des photographes de renom à revisiter les contes classiques : Sarah Moon interprète Le petit chaperon rouge de Charles Perrault , Marcel Imsand Le sapin d’Andersen
  • 1991 : Les imagiers de la photographe américaine Tana Hoban commencent à être édités en France par les éditions Kaléidoscope
  • 1998 : Isabel Gautray crée sa collection d’imagiers photographiques au sein de sa maison d’édition « Passage Piétons éditions »
  • 2004 : Les éditions lotoises « Où sont les enfants ? » publient des albums s’appuyant sur le langage de la photographie pour raconter des histoires aux enfants.
  • 2004 : Les éditions MeMo mettent en œuvre leur travail de transmission du patrimoine littéraire pour la jeunesse au travers de trois collections dédiées et publient trois œuvres phares de la photolittérature jeunesse Animaux à mimer d’Alexandre Rodtchenko, Le Coeur de Pic de Claude Cahun, et en 2018 Deux petits ours d’Ylla
  • 2006 : Brigitte Morel fait découvrir l’univers artistique de la photographe Claire Dé au sein des éditions Panama avec l’album novateur Ouvre les yeux
  • 2007 : Les éditions Thierry Magnier lancent « Photoroman », collection de romans pour adolescents illustrés de photographies
  • 2020 : Les éditions Gallimard publient Le jour où je serai grande : une histoire de Poucette, où les motifs du conte d’Andersen sont pris en charge par les photos de Marie Liesse, tandis que le texte de l’auteur pour la jeunesse Timothée de Fombelle explore les pensées intérieures de Poucette.

Tana Hoban est née à Philadelphie de parents d’origine russe. Diplômée d’une école de Beaux Arts, elle se spécialise très tôt dans les portraits d’enfants. Elle est reconnue pour son travail dès 1949, lorsqu’elle est exposée au Musée d’Art Moderne de New York (MoMa). C’est dans les années 1970 qu’elle se lance dans l’édition jeunesse, marquée par ce qu’elle appela « l’expérience de Bank Street ». Des enfants de l’école de Bank Street à New York furent un jour questionnés sur ce qu’ils avaient vu sur leur trajet en venant à l’école. Réponse : « Rien ». C’est alors que Tana Hoban décida de faire des photos qui inciteraient les enfants à regarder différemment le monde qui les entoure. Ses albums de photographie, en noir et blanc ou en couleurs, sont accessibles même aux tout-petits grâce à son attention portée aux formes, aux couleurs et aux textures.

Après des études dans le domaine culturel, Claire Dé, artiste photographe plasticienne, se tourne vers la conception d’albums pour la jeunesse et d’outils de médiation en volume. Elle a collaboré avec le Centre Pompidou et travaille sur des projets autour de la pédagogie de l’art. Depuis 2000, Claire Dé développe un travail plastique et photographique pour la jeunesse où l’image et le livre tiennent une place centrale. Ses chantiers artistiques qui s’emparent joyeusement du quotidien tentent de métamorphoser les objets ordinaires en objets artistiques, en matière créative. Porter un autre regard sur le réel. Inviter les enfants à faire « un pas de côté », à vivre un art de l’étonnement et de l’expérimentation tout en s’initiant au beau. Livres et installations dans l’espace, en dialogue, placent toujours le lecteur en position d’explorateur.
Au-delà du plaisir de jouer avec les formes, les couleurs, les matières, la lumière, Claire Dé aime explorer les possibilités de l’album et renouvelle ses propositions dans chacun de ses projets.