La bibliothèque municipale conserve 132 manuscrits provenant de la bibliothèques des Dominicains de Toulouse, 98 pour le Moyen Âge, 34 pour la période moderne.
Ce qui a été gardé
Les 98 manuscrits du Moyen Âge conservés ne constituent pas un arrêt sur image de l’état de la bibliothèque des Dominicains de Toulouse à la fin du 15e siècle. Ils sont seulement les vestiges d’une politique de sélection, par conservation ou destruction des livres, répondant aux besoins des frères du 13e au 18e siècle.
De cette drastique sélection, n’ont subsisté que trois manuscrits du 12e siècle : une Grammaire de Papias (vers 1200-1220, conservée désormais à Paris), une Histoire scholastique de Pierre le Mangeur (vers 1180-1190, ms. 460), et un Commentaire sur les Psaumes de Pierre Lombard (vers 1160-1190). Le reste du corpus date principalement du 13e et du 14e siècle (respectivement 37 et 46 exemplaires conservés), en lien avec la période faste du couvent toulousain, en terme de revenu et de frères présents dans le couvent. Pour le 15e et 16e siècle, les frères ont gardé respectivement 13 et 5 volumes.
De cette collection, il ressort que les frères ont choisi de garder trois types de livres :
- Les livres les plus beaux. Richement enluminés, reliés avec soin, la valeur esthétique (et peut-être aussi marchande) de ces livres leur a visiblement garanti une conservation soigneuse des frères. C’est particulièrement le cas des livres liturgiques, rapidement dépassés dans leur contenu, et pourtant précieusement conservés. On pense notamment aux deux missels des Dominicains de Toulouse, enluminés, l’un à la fin du 13e siècle (Toulouse, BM, ms. 103), l’autre au début du 16e siècle (Toulouse, BM, ms. 96). C’est aussi le cas d’une Somme de Thomas d’Aquin copiée en 1465 et richement enluminée (Toulouse, BM, ms. 214), rare exemplaire conservé de l’œuvre de Thomas d’Aquin dans cette bibliothèque qui devait pourtant avoir plus d’un exemplaire de l’œuvre du « docteur angélique » pendant le Moyen Âge.

- Les livres attachés aux figures du couvent et à l’histoire de l’ordre. La prédominance des 13e et 14e siècle semble liée au fait qu’il s’agit de l’âge d’or du couvent, qui voit la fondation-même de l’ordre et la création à Toulouse du tout premier couvent de frères Prêcheurs. Les livres conservés pour cette période font office de preuves, de témoignages matériels sur cette période, qui baigne dans l’aura de Dominique et de ses disciples. C’est clairement le cas des livres écrits et donnés au couvent par Bernard Gui (mort en 1331), Dominique Grima (mort en 1347) ou Arnaud Bernard (mort en 1397), tous frères du couvent de Toulouse. La collection de dix manuscrits offerte par Bernard de Castanet, évêque d’Albi (mort en 1317) participe également du même phénomène, tout comme le volume de la grande enquête inquisitoriale de 1245-1246 (Toulouse, BM, ms. 609), rescapée des archives de l’inquisition.

- Les œuvres rares. La bibliothèque du couvent possède quelques unica, c’est à dire des livres contenant des textes connus via ces seuls exemplaires. C’est le cas du Livre pour l’instruction et la consolation des novices, remarquable manuel illustré, écrit par un frère de Toulouse, vers 1280-1300 pour accompagner les novices dans leur vocation. Les Dominicains ont également gardé une étonnante table alphabétique de la Chaîne dorée de Thomas d’Aquin, provenant peut-être du couvent et copié au milieu du 14e siècle, un recueil de sermons inédits écrits par des frères anglais à la fin du 14e siècle ou encore le recueil sur la translation du corps de Thomas d’Aquin à Toulouse copié vers 1400 et qui concernait les Jacobins au premier chef ! A l’époque moderne, on constate qu’ils conservent aussi un travail manuscrit sur les Annales de Toulouse copié en 1637, et une étonnante exposition sur les Epîtres de Paul dans l’œuvre de saint Augustin par Florus de Lyon, copie de 1693 qui possède le premier index thématique connu de cette œuvre.

Bien sûr plusieurs manuscrits combinent parfois deux ou trois de ces critères – beauté de l’enluminure, lien avec l’histoire du couvent, texte inédit – ce qui les a rendu encore plus estimable aux yeux des frères, et a permis leur conservation sur la longue durée.
Ce qui a été dispersé
Rares sont les manuscrits des Dominicains conservés en dehors de la Bibliothèque municipale de Toulouse. Plusieurs ouvrages cités dans la liste ci-dessus, sont en fait « associés » au couvent des Jacobins, sans que l’on puisse prouver qu’ils en ont fait partie à un moment ou à un autre.
En plus du glossaire latin de Papias récupéré par Colbert au 17e siècle (voir le chapitre Liste et catalogues pré-révolutionnaires), un manuscrit majeur pour l’histoire de l’ordre se trouve désormais à la British Library. En effet, comme vient de le montrer Innocent Smith, plusieurs indices concordants permettent de prouver que le fameux exemplar de la liturgie dominicaine conservé à Londres depuis son acquisition en 1860 (British Library, ms. Add. 23935) semble bien venir du couvent des Dominicains de Toulouse.
Conçu par et pour le maître général de l’ordre, Humbert de Romans, vers 1260, pour contenir en un seul petit volume transportable toute la liturgie dominicaine nouvellement unifiée, ce livre crucial pour l’histoire liturgique des Frères Prêcheurs se trouvait au couvent de Toulouse au moins depuis le milieu du 16e siècle, date à laquelle il est inventorié dans la sacristie ; et il y reste au moins jusqu’au début du 18e siècle, puisqu’il est signalé comme étant à Toulouse par Quétif et Echard en 1719.
Ces quelques rares exemplaires conservés ailleurs prouvent que même les pièces les plus cruciales pour l’histoire de l’ordre des Dominicains ne furent pas épargnées par le phénomène « d’évaporation » des livres de la bibliothèque, et ce avant même la Révolution française.
Bibliographie
Martin Morard, « La bibliothèque évaporée. Livres et manuscrits des dominicains de Toulouse (1215-1840) », Entre stabilité et itinérance. Livres et culture des ordres mendiants, XIIIe-XIVe siècle, Brepols, Turnhout, 2014, p. 73-128.
Émilie Nadal, « « Catalogue de l’exposition Manuscrits médiévaux des dominicains de Toulouse. Mémoire d’une bibliothèque », dans Émilie Nadal, Magali Vène (dir.), La Bibliothèque des Dominicains de Toulouse, Toulouse, PUM, 2020, p. 150 et suivantes.
Sur l’exemplar d’Humbert de Romans :
Innocent Smith, « The Toulouse Exemplar of the Dominican Liturgy: a note on the provenance of London, British Library, Add. Ms. 23935 », The Library, vol. 26, mars 2025, p 26-37.