« Cherche ces livres ! »
En dehors des ex-libris présents sur les manuscrits eux-mêmes dès le 13e siècle (voir le chapitre suivant), il subsiste quelques listes et inventaires de la bibliothèque datant du 17e et 18e siècle.
La plus ancienne référence à un livre conservé chez les Dominicains de Toulouse apparaît dans une liste de « livres à trouver » écrite dans la marge d’un recueil de textes philosophiques du début du 15e siècle. Ce recueil conservé au Vatican, fut possédé par Jacques Gil, dominicain espagnol maître du sacré palais apostolique entre 1453 et 1473. Sous des extraits de Cicéron, une main du 15e siècle (celle de Jacques Gil ?) a indiqué en latin dans la marge : « Cherche ces livres », et parmi ceux-ci un « livre sur les Synodes du bienheureux Hilaire » qui « se trouve à Toulouse, au couvent des frères Prêcheurs ».
Il s’agit du De Synodis de saint Hilaire de Poitiers. Cet ouvrage patristique, dont l’existence à Toulouse n’est connue que par ce témoignage ténu, est symptomatique du sort général d’une grande partie des collections du couvent des dominicains de Toulouse, rapidement dispersée et ce, bien avant la Révolution française.
1683 – Le répertoire du Père Laqueille
Le premier catalogue conservé des livres du couvent de Toulouse date de 1683. Il a été fait par le père Jean-Dominique Laqueille, bibliothécaire du couvent et se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque municipale (ms. 883).
Ce Répertoire des livres rangés aussi bien sur les étagères que sur les tables de cette bibliothèque en 1683 donne la liste par ordre alphabétique et topographique d’une partie des imprimés et des manuscrits du couvent, soit 1681 titres, essentiellement des imprimés, avec seulement 65 manuscrits mentionnés à la fin du registre, qui prenaient place dans l’aile gauche de la bibliothèque.

Le catalogue du Père Laqueille ne fournit pas la collection exhaustive des livres du couvent. Il ne cite que 65 manuscrits, alors que la bibliothèque municipale en possède encore 132 ! Il pourrait s’agir d’une liste d’usuels, sans doute non empruntables, destinés à la consultation sur place et – pour certains – enchaînés.
Sur les 1681 titres que donne le père Laqueille, on conserve aujourd’hui 86 imprimés modernes et 60 manuscrits médiévaux.
1680 – Colbert & les manuscrits dominicains
Il existe à Paris une liste énumérant 36 items (manuscrit ou groupe de manuscrits) provenant du couvent des dominicains de Toulouse, portant sur l’histoire de l’ordre ou sur la théologie (Paris, BnF, ms. latin 10395, f. 232r-232v).
Selon Martin Morard, la liste serait de la main de Henri-Marie de Boudon, trésorier de France à Montpellier, vers 1680, date à laquelle il fait livrer à Colbert, ministre du roi et grand bibliophile, les plus beaux manuscrits alors conservés au Collège de Foix à Toulouse. Les manuscrits de la liste constituaient peut-être un avant-goût des exemplaires les plus intéressants que Colbert aurait pu proposer de racheter, ils restèrent néanmoins au couvent où ils sont décrits par le bibliothécaire Laqueille en 1683.
Colbert récupéra toutefois un lexique de Papias (Paris, BnF, ms. latin 7612), absent de cette liste, mais portant l’ex-libris du couvent des dominicains de Toulouse.



A la même époque, le bibliothécaire de Colbert, Étienne Baluze convoite aussi (pour lui ou pour Colbert ?) les livres du couvent toulousain. On conserve une lettre du 13 octobre 1677 (Paris, BnF, Baluze 371, f. 5r-5v, 55r-56r) dans laquelle un certain Mariotte décrit à Baluze le contenu d’un ouvrage historique de Bernard Gui, concluant en disant qu’il sera difficile de prendre le livre aux Dominicains, car « Guidonis était de leur ordre », et « ses ouvrages leur sont plus précieux que ceux d’un étranger ».
1757 – Le projet de l’Académie royale des sciences et belles-lettres de Toulouse
Au milieu du 18e siècle, l’Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse se propose de continuer les Annales de la ville, et d’utiliser pour cela les fonds des bibliothèques religieuses.
M. Reboutier, agrégé de la faculté de droit, est chargé d’établir le catalogue de la bibliothèque des Dominicains, des Minimes et des Augustins. Il donne le rapport de sa mission le 4 août 1757 dans une note intitulée « Notice de la Bibliothèque des religieux Dominicains de Toulouse » copiée dans les Mémoires et toujours conservée sous forme manuscrite dans les archives de la société savante.

Toulouse, Académie des sciences, inscriptions et belle-lettres de Toulouse, Mémoires copiés, vol. 6, du 27 janvier 1757 au 4 août 1758, p. 107 à 113. (photo Émilie Nadal)
Le catalogue, registre finalement réalisé par les religieux eux-mêmes (« pour rendre ce catalogue d’un plus grand usage, j’ai engagé les Pères Jacobins de le faire ») fut remis à l’Académie en 1757. Il était encore mentionné dans un inventaire de 1774 : « Catalogue des bibliothèques des Jacobins, Minimes et Augustins de Toulouse en un grand registre in-fol. » mais a depuis malheureusement disparu des archives.

Toulouse, Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres, Boîte 800 15 III pièce 29 (photo Émilie Nadal).
Le rapport préliminaire donne toutefois quelques indications. Reboutier indique que la bibliothèque des Dominicains conserve 5774 livres. Il décrit six manuscrits, ouvrages faisant partie des livres donnés par Bernard de Castanet au début du 14e siècle. En parlant des imprimés, il évoque « 215 articles imprimés à Toulouse » et 44 incunables.
Il s’attarde particulièrement sur deux imprimés : d’une part, un rare incunable enluminé de 1480, toujours conservé à la Bibliothèque municipale (Inc. Toulouse 1) ; d’autre part, un exemplaire du Ratio Studiorum dont il copie la page de titre (image ci-dessous).

Imprimé à Rome par Franciscus Zanetus en 1586, ce livre est une édition rarissime publiée à l’usage interne des Jésuites sur la formation de leurs membres et un de ses chapitres fut par la suite interdit.
Ce livre était, nous dit Reboutier, conservé dans un coffre avec l’argent du dépôt, fermé par trois différentes serrures dont trois frères avaient les clés.
Ces quelques inventaires et liste des livres sont des outils précieux pour connaître l’état de la bibliothèque à l’époque moderne, même s’ils ne fournissent qu’un regard très partiel sur la collection des dominicains.
Bibliographie
Sur la liste « Cherche ces livres » du 15e siècle ;
Giovanni Mercati, Codici latini Pico Grimani Pio e di altra biblioteca ignota del secolo XVI…, Cité du Vatican, BAV, 1938, p. 251 note 76 bis.
Élisabeth Pellegrin, Les manuscrits classiques latins de la Bibliothèque vaticane, t. I : Fonds Archivio San Pietro à Ottoboni, Paris, CNRS, 1975, p. 617 n. 1.
Sur les inventaires et catalogues des 17e et 18e siècles :
Auguste Molinier, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques des départements, t. VII : Toulouse, Nîmes, Paris, Imprimerie nationale, 1885, p. LXIV-XLVII.
Martin Morard, « La bibliothèque évaporée. Livres et manuscrits des dominicains de Toulouse (1215-1840) », Entre stabilité et itinérance. Livres et culture des ordres mendiants, XIIIe-XIVe siècle, Brepols, Turnhout, 2014, p. 73-128.
Émilie Nadal, « À la recherche d’une bibliothèque disparue », dans Émilie Nadal, Magali Vène (dir.), La Bibliothèque des Dominicains de Toulouse, Toulouse, PUM, 2020, p. 19-33.
Sur les liens entre Colbert et les manuscrits dominicains :
Léopold Delisle, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. II, Paris, Imprimerie nationale, 1874, p. 419.
Léopold Delisle, « Notice sur les manuscrits de Bernard Gui », Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres bibliothèques, 1879, t. XXVII, 2e partie, Paris, Imprimerie nationale, p. 205.
Sur le catalogue de Reboutier :
Michel Taillefer, L’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse au XVIIIe siècle, thèse de doctorat sous la direction de J. Godechot, Toulouse, 1975, p. 496.